jeudi 31 mai 2007

Le Christ des Conciles œcuméniques

Voici la dernière partie sur la christologie des conciles oecuméniques. Pour ceux qui ont manqué les premières études, vous pouvez les lire en cliquant ici, ici, ici, ici et ici.

Le Concile de Chalcédoine (451)

À Nicée, c’est notamment la divinité de Christ qu’il fallait défendre contre les aberrations doctrinales d’un Arius. Constantinople, cependant, luttait pour maintenir la nature entièrement humaine de Jésus, nature humaine que minimisait dangereusement Apollinaire. Avec Éphèse, on sentait surtout le besoin d’expliquer et de formuler avec une plus grande clarté le mode d’union des deux natures dans la seule et même personne du Christ en se battant contre la conception erronée d’une simple conjonction de deux personnes, tel que l’enseignait Nestorius. Mais c’est vraiment à Chalcédoine que la question de l’union personnelle des natures divine et humaine en Christ a été résolue de manière « définitive ». C’est l’erreur opposée au nestorianisme qu’il fallait maintenant combattre à Chalcédoine, car certains théologiens, comme nous le verrons ci-dessous, avaient en effet tendance à « trop unir », voire à mélanger et à confondre les natures divine et humaine de Jésus-Christ.

Les évêques réunis au Concile de Chalcédoine devaient examiner et condamner la doctrine d’un certain Eutychès (378-454), moine et archimandrite[1] dans la ville de Constantinople, qui prétendait qu’après l’union du Verbe incarné, seule la nature divine subsiste : « Dans le Christ, la divinité a absorbé l’humanité, comme l’eau de la mer absorbe la goutte de miel qui y serait tombée (...) L’humanité n’a pas été anéantie dans son union avec la divinité, elle a été changée en elle[2](...) » Une seule nature ! (La doctrine qui n’admet qu’une seule nature dans la personne de Jésus se nomme le monophysisme).

Devant la gravité de l’hérésie monophysite que soutenait Eutychès et des débats christologiques faisant rages depuis au moins deux siècles déjà, les évêques réunis à Chalcédoine sont parvenus à une confession de foi commune et ont condamné non seulement la doctrine monophysite, mais encore l’arianisme, l’apollinarisme et le nestorianisme. Nous citons intégralement la Définition de Chalcédoine :

Suivant donc les Saints Pères, nous enseignons tous d’une seule voix un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, le même parfait en humanité, le même Dieu vraiment et homme vraiment, (fait) d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l’humanité, semblable à nous en tout hors le péché, engendré du Père avant les siècles quant à sa divinité, mais aux derniers jours, pour nous et pour notre salut, (engendré) de Marie la Vierge la Theotokos [mère de Dieu] quant à son humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, que nous reconnaissons être en deux natures, sans confusion, ni changement, sans division ni séparation ; la différence des natures n’est nullement supprimée par l’union, mais au contraire les propriétés de chacune des deux natures restent sauves, et se rencontrent en une seule personne (prosôpon) ou hypostase ; (nous confessons) non pas (un fils) partagé ou divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils, Fils unique, Dieu, Verbe, Seigneur, Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes l’ont dit de lui, comme le Seigneur Jésus-Christ lui-même nous en a instruits, et comme le Symbole des Pères nous l’a transmis.

Tout ceci ayant été fixé et formulé par nous avec toutes les précisions et l’attention possible, le saint et œcuménique Synode a décidé qu’il n’est permis à personne de professer, de rédiger, de composer une autre formule de foi, ou de l’enseigner à d’autres. Quant à ceux qui oseraient composer une autre foi, ou proposer, enseigner ou transmettre un autre symbole à ceux qui désirent se convertir de l’hellénisme, du judaïsme ou d’une hérésie quelconque à la connaissance de la vérité, ceux-là, s’ils sont évêques ou clercs, ils sont exclus, les évêques de l’épiscopat, les clercs de la cléricature ; s’ils sont moines ou laïcs, ils sont anathèmes[3].

La contribution remarquable qu’a pu réaliser le Concile de Chalcédoine aux décisions christologiques des conciles précédents trouve son plein écho dans la déclaration suivante :
(...) un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, que nous reconnaissons être en deux natures, sans confusion, ni changement, sans division ni séparation ; la différence des natures n’est nullement supprimée par l’union, mais au contraire les propriétés de chacune des deux natures restent sauves, et se rencontrent en une seule personne (prosôpon) ou hypostase[4].

Cette déclaration précise en effet comment le concept de personne doit être conçu quand vient le moment de clarifier le mode d’union de la nature divine et de la nature humaine dans le Christ. Chalcédoine voulait d’une part éviter de dire deux personnes (prosôpa) dans le Christ (comme le faisait Nestorius), puisqu’il est en effet une seule personne, d’autre part ce même concile voulait établir clairement que l’union des deux natures dans une seule personne n’entraîne pas forcément l’abolition de l’une ou l’autre de ces deux natures (comme le faisait l’erreur monophysite, qui abolissait la nature humaine au profit de la nature divine). Il fallait donc trouver une formulation doctrinale qui pouvait préserver à la fois l’unipersonnalité de Jésus-Christ et l’existence plénière de chacune des deux natures sans toutefois les confondre ou les diviser.

Pour grand nombre de théologiens, tant chez les anciens que chez les modernes, le Concile de Chalcédoine marque un point final dans la christologie de l’Église. On dit en effet que la définition doctrinale réalisée durant ce concile exprime le plus clairement et le plus précisément possible tout l’enseignement scripturaire concernant la personne de Jésus-Christ. Aller au-delà ou en deçà de cette confession serait donc ni plus ni moins qu’un retour à l’hétérodoxie sous l’une ou l’autre de ses formes anciennes[5] ! Peut-on se rallier à un tel point de vue ? Si oui, comment alors le faire sans donner l’impression que nous cessons de considérer la Bible comme notre seule norme en matière de foi ? Considérons brièvement l’opinion de Robert L. Reymond sur ce point :

La Définition de Chalcédoine marque en effet le point final, et à juste titre, de toute spéculation qui voudrait soit dénigrer sa doctrine « d’une seule Personne » ou soit dénigrer celle de ses « deux natures » (...) Et l’histoire est remplie d’exemples qui justifient la déclaration souvent faite que « lorsque quelqu’un décide d’aller au-delà des limites tracées par Chalcédoine, cela signifie qu’il a décidé de choisir l’hérésie[6] ».

[1] Supérieur de certains monastères dans l’Église grecque.
[2] Eutychès, cité par CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 39.
[3] CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 44.
[4] Nous avons ajouté les italiques.
[5] Hétérodoxie : Doctrine, opinion émise au sein de l’Église et condamnée par elle comme corrompant les dogmes.
[6] Robert L. REYMOND, op.cit., p. 621.

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