mercredi 30 mai 2007

Le Christ des Conciles œcuméniques

Voici une autre partie sur cette série concernant la christologie. Pour ceux qui ont manqué les premières études, vous pouvez les lire en cliquant ici, ici, ici et ici.

Le Concile d’Éphèse (431)

Avec les Conciles de Nicée et Constantinople, les Pères se sont penchés tour à tour sur la question de la nature divine et de la nature humaine du Christ, affirmant pleinement tant l’une que l’autre. À partir d’Éphèse, ils se concentreront plus spécifiquement sur la manière dont l’Église doit interpréter et comprendre le mode d’union entre le divin et l’humain dans la personne de Jésus. On assistera donc, avec Éphèse, à une nette progression dans la compréhension et la formulation du dogme christologique[1].

Au Concile d’Éphèse, c’est à Nestorius (mort en 451), consacré patriarche de Constantinople en 428[2], et lui aussi fervent défenseur de la divinité (Nicée) et de l’humanité (Constantinople) de Jésus-Christ, qu’on reprochait directement la christologie.

La christologie de Nestorius, par opposition à la christologie « unitaire », qui ne voyait dans le Christ qu’un seul principe d’activité, le Logos, était une christologie dite « dualiste » : dans son étude du Christ, cette christologie partait des deux natures complètes (Homme-Dieu). En cela, Nestorius était l’héritier de la christologie antiochienne. En effet, les Antiochiens distinguaient clairement les deux natures, la nature divine étant impassible et immuable, et la nature humaine sujette à la souffrance et à la mort.

En distinguant aussi nettement les natures, Nestorius n’entendait pas pour autant les séparer. Il est certes exact d’affirmer que sa christologie souffrait d’une insuffisance réelle dans le choix du vocabulaire (l’idée que le Christ n’est qu’une conjonction de deux êtres, l’homme et le Verbe, qui n’ont en commun qu’une « unité de volonté, d’opération et de seigneurie, n’est pas tout à fait suffisante). Mais sa doctrine du Christ manifestait néanmoins un effort véritable dans la direction d’une union des deux natures. Comme le déclarait Nestorius lui-même : « Nous ne connaissons pas deux Christs ou deux Fils, ou Monogènes, ou Seigneurs (…)[3]. » Dans certaines occasions, il affirmait même un seul prosôpon (personne)[4] comme résultat de l’union des deux natures[5].

Ce langage, bien qu’il semble se rapprocher favorablement de l’orthodoxie, ne l’atteint pourtant pas. Comme l’explique en effet Aloys Grillmeier, au fond de la christologie nestorienne subsiste toujours l’idée de deux prosôpa (personnes) :

« L’unité du prosôpon est basée sur le fait que le prosôpon du Logos fait usage du prosôpon de l’humanité du Christ comme d’un instrument, d’un organon[6]. »
Le théologien anglican G. L. Prestige, en des termes quelque peu différents de ceux de Grillmeier, caractérise le point faible de la christologie de Nestorius de la façon suivante :
« Nestorius est incapable de ramener à une unique personnalité clairement conçue les deux natures du Christ qu’il distinguait avec un si admirable réalisme[7]. »
C’est Cyrille (375−444), le patriarche d’Alexandrie, qui a réagi le plus fortement à l’enseignement de Nestorius. Dans la seconde lettre qu’il a fait parvenir à Nestorius, et qui a été par la suite retenue comme document officiel du Concile de Constantinople, il disait :
Ainsi nous confesserons un seul Christ et un seul Seigneur, non pas en adorant un homme avec le Verbe, pour ne pas introduire l’imagination d’une division en disant avec ; mais nous adorons un seul et même Christ, car le corps du Verbe ne lui est pas étranger, c’est avec lui qu’il siège maintenant avec son Père : ce ne sont pas deux Fils qui siègent avec le Père, mais un seul, à cause de l’union, avec sa propre chair[8].

[1] Parmi les théologiens modernes, le Dr Robert L. REYMOND, dans son ouvrage A New Systematic Theology of the Chrsitian Faith, reconnaît que le concile d’Éphèse a apporté une contribution importante pour la résolution finale des conflits christologiques des premiers siècles (Nashville, Thomas Nelson Publisher, 1998, p. 603). Il est vrai que le concile d’Éphèse ne fit aucune « définition dogmatique » solennelle. Mais, comme le souligne Camelot, « il y en a eu l’équivalent, l’expression de la foi commune de l’Église. » ; CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 37. Cet « équivalent », selon Camelot, est la deuxième lettre de Cyrille à Nestorius, qui fit aussi l’objet d’un vote commun.

[2] Adolf VON HARNACK décrit Nestorius comme un « évêque vaniteux et tapageur » ; Adolf VON HARNACK, Histoire des dogmes, Paris, les Éditions du Cerf, 1993, p. 212).

[3] Christologie I., op.cit., p. 212.

[4] En grec, « prosopôn » (« prosôpa » au pluriel) signifie « face », « visage » ou « figure » ; mais il peut aussi se traduire par « personne ».

[5] Comme en font d’ailleurs foi ces paroles de Nestorius : « Quant au prosôpon du Fils, il est un seul, mais comme avec deux yeux, différents quant aux natures de l’humanité et de la divinité. » ; Christologie I., op.cit., p. 212.

[6] Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne : De l’âge apostolique à Chalcédoine (451), traduction française par sœur Jean-Marie et Monique Saint-Wakker, Paris, Les Éditions du Cerf, 1973, tome 1, p. 445.

[7] G. L. PRESTIGE, Fathers and Heretics, cité par CAMELOT, Éphèse et Chalcédoine, op.cit., p. 30.

[8] CAMELOT, MARAVAL, op.cit., p. 30.

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