mardi 29 mai 2007

Le Christ des Conciles œcuméniques

Voici une autre suite sur la christologie. Pour ceux qui ont manqué les premières études, vous pouvez les lire en cliquant ici, ici et ici.

Le Concile de Constantinople (381)

La victoire de l’Église au Concile de Nicée contre l’arianisme, bien qu’elle ait permis de consolider et d’assurer la confession de « Jésus-Christ vrai Dieu de vrai Dieu », ne devait cependant pas encore mettre un terme au conflit christologique. Une autre menace planait, venant cette fois-ci de l’évêque de Laodicée, Apollinaire (310-390).

Apollinaire était un fervent défenseur de la doctrine nicéenne de la consubstantialité (homoousios) divine entre le Père et le Fils. Cet accord d’Apollinaire avec la foi de Nicée ne l’a pourtant pas empêché d’entrer en conflit avec l’Église. C’est qu’Apollinaire interprétait le Christ à partir du schéma de l’unité substantielle de l’homme en tant que synthèse du corps et de l’âme. Camelot explique :

Dans l’homme, composé d’un corps et d’une âme qui ne font qu’une nature, il n’y a qu’un seul principe d’activité, l’âme, qui se meut elle-même et meut le corps. De même, dans le Christ, il n’y a qu’un seul principe d’activité, le Logos[1].

Ainsi, selon Apollinaire, le Logos n’assume pas l’âme humaine au moment de l’Incarnation[2], mais il remplace et prend la place de celle-ci. Si le Logos s’unissait à une nature humaine complète, c’est-à-dire ayant un corps et une âme, cela résulterait en un être composé de deux sujets rationnels[3]. Or, selon Apollinaire, il est impossible qu’il y ait plus d’un principe de rationalité et d’autodétermination dans le Christ. C’est ce qu’il exprime dans les deux textes suivants :

Ils dessinent du doigt sur la pierre, ceux qui enseignent l’existence dans le Christ de deux intellects, j’entends, un divin et un humain. En effet, si tout intellect est souverain, mû par son vouloir propre selon la nature, il est impossible que dans un seul et même sujet en coexistent deux qui voudraient l’opposé l’un de l’autre, chacun des deux opérant l’objet de son vouloir selon un mouvement autonome. Pour notre part nous confessons non pas que le Verbe de Dieu se serait transporté dans un homme saint, comme c’était le cas dans les prophètes, mais que le Verbe lui-même est devenu chair, non pas en prenant un intellect humain, intellect qu’orientent et que captivent des pensées impures, mais en étant un intellect divin, immuable et céleste[4].

Toujours selon Apollinaire, mais dans un langage quelque peu différent, l’unité véritable dans le Christ est réalisée lorsque l’élément divin et l’élément humain se trouvent reliés comme les « parties » d’un « tout ». Et ce « tout » apparaît lorsque le Logos prend possession de la chair humaine. Évidemment, les « parties » du Christ ne sont pas égales : le pneuma divin (l’esprit ou l’âme supérieure) conserve en tout sa prééminence. Cependant, pour parvenir à ce « tout », l’évêque de Laodicée devait concevoir dans le Christ une nature humaine incomplète, c’est-à-dire sans âme, réduisant par le fait même l’humanité de Jésus à un état de pure passivité. Il ne pouvait donc plus dire, sur cette base, que Jésus a été « semblable à ses frères en toutes choses » (Hé 2.17 ; voir aussi Hé 2.14 ; Ro 8.3 ; Ph 2.7).

Contre Apollinaire et sa doctrine hérétique, le Concile de Constantinople a réaffirmé la foi de Nicée, en précisant cependant que, selon le témoignage des Écritures, le Fils de Dieu « s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie et s’est fait homme[5] ». Le « s’est fait homme » du symbole de Constantinople ne signifiait évidemment pas la conjonction d’un intellect divin et d’une nature humaine incomplète (sans âme rationnelle) dans la personne du Christ, comme le soutenait erronément Apollinaire. Bien au contraire, cela voulait dire que Jésus-Christ est à la fois vrai Dieu et vrai Homme. Ainsi, en réaffirmant avec force l’existence de l’âme humaine de Jésus-Christ, Constantinople a fait triompher le témoignage biblique selon lequel Jésus est « semblable à nous en toutes choses » (Hé 2.17)[6].

[1] P-Th. CAMELOT, Éphèse et Chalcédoine, Paris, Éditions de l’Orante, 1961, p. 20.

[2] Dans le sens de « prendre en charge », « mettre sous son contrôle ».

[3] Apollinaire présupposait en effet que l’âme est le siège de la rationalité.

[4] Christologie I. Des origines à l’Antiquité tardive, sous dir. de Karl-Heinz Ohlig, traduction par Bernard Lauret et Georges-Matthieu de Durand, Paris, les Éditions du Cerf, 1996, tome I, p. 170.

[5] Christologie I., op.cit., p. 51 (nous avons ajouté les italiques).

[6] Pour réfuter la fausse doctrine d’Apollinaire, Grégoire de Nazianze a fait ressortir les conséquences sotériologiques qu’elle entraîne : « Si seulement une moitié d’Adam a chuté, alors ce que le Christ assume et sauve doit être aussi une moitié ; mais si c’est sa nature entière qui a chuté, elle doit alors être unie à la pleine nature de Celui qui est l’unique engendré, et ainsi être sauvée entièrement. » ; Gregory of Nazianzen, The Nicene and Post-Nicene Fathers, Grand Rapids, Eerdmans, vol. 7, 1983, p. 440.

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