jeudi 28 décembre 2006

Être père selon Georges Whitefield



Georges Whitefield et le rôle du chef de famille

Un sermon du célèbre prédicateur Georges Whitefield m'a fait beaucoup réfléchir ces derniers jours. Il s'agit de son sermon intitulé The great Duty of Family-Religion, dans lequel il brosse un tableau biblique de ce à quoi devrait ressembler une famille chrétienne, et plus particulièrement le rôle spirituel du père (le "gouverneur", dans les mots de Whitefield) envers les siens. Mais ce que j'ai principalement aimé de ce sermon, c'est la manière dont Whitefield applique la doctrine du triple office de Christ au père de famille. Ainsi, comme Christ, le père doit dans son foyer être à la fois prophète, prêtre et roi:
Chaque gouverneur de famille doit se considérer comme ayant l'obligation d'agir selon trois charges, comme prophète, pour instruire, comme prêtre, pour prier pour et avec [sa famille] et comme roi, pour gouverner, diriger et être le pourvoyeur des siens.
Il est vrai que ni l'Ancien ni le Nouveau Testament n'envisagent le rôle du père de famille d'après le modèle des trois offices. Mais cela n'invalide en rien cette analogie que fait Whitefield, puisque l'apôtre Paul recommande aux maris de prendre Christ comme leur modèle marital (Éphésiens 5.25-27). Or le Nouveau Testament atteste clairement que Christ est à la fois prophète (Luc 13.33-34; Actes 3.19-23), prêtre (Hébreux 7.24-26) et roi (Matthieu 21.5; Apocalypse 17.14). Celui-ci, en sa qualité de prophète, a maintes fois enseigné à ses disciples; en tant que prêtre, il a prié et intercède encore pour les siens; enfin, comme roi, il règne sur son Église.

Bien entendu, cette analogie du triple office du rôle paternel ne nous permet pas de transposer toutes les fonctions ministérielles de ces trois offices aux pères de famille. On ne s'attend pas à ce que les pères se mettent à prophétiser les événements à venir ni à ce qu'ils offrent des sacrifices sanglants comme le faisaient autrefois les prêtres-sacrificateurs. On ne s'attend pas non plus à ce qu'ils règnent en roi sur les nations ni à ce qu'ils fassent des nations de leurs familles. Toute analogie a ses limites. De la même façon, on ne peut exiger des pères qu'ils accomplissent tout ce que le triple office de Jésus représente: quel père pourrait régner en roi comme Christ règne sur son Église? Quel père pourrait intercéder en notre faveur comme Christ le fait? Quel père pourrait prétendre posséder une unicité prophétique semblable à celle de Jésus? Christ a accompli ces ministères d'une façon toute singulière, et nul parmi nous ne peut les reproduire à nouveau, car ils appartiennent en propre au dénouement historique et non répétable du plan rédempteur de Dieu.

Quel est donc l'avantage de faire une telle analogie si, en dernière analyse, il faut vider en partie ces trois offices de leur signification propre avant de pouvoir les appliquer aux pères de famille? Whitefield n'aurait-il pas mieux fait de souligner uniquement et sans façons l'importance de l'enseignement, de la prière et de l'autorité pour les pères de famille? Cette procédure aurait au moins eu à son avantage d'éviter toute cette gymnastique intellectuelle. Cela est certes vrai, mais pensons-y un peu: quelle autre approche, sinon celle de Whitefield, peut ancrer si solidement
le rôle du père dans la tradition biblique
? Quelle autre approche fait reposer le rôle paternel sur des assises aussi certaines que celles que constituent les offices prophétique, sacerdotal et royal? Bref, quelle autre approche est en mesure de récupérer l'ensemble de l'histoire et de la tradition juives ainsi que l'enseignement de l'Église primitive sur Christ, pour établir les fondements d'une définition cohérente et hautement pratique du rôle de chef de foyer?

Je ne veux certes pas avancer ni même sous-entendre que cette manière de concevoir le rôle de père est la seule qui soit possible pour le chrétien ou qu'en dehors d'elle il n'y en ait aucune autre qui soit biblique. Je dis cependant que celle-ci contient une bonne part de sagesse car elle permet de relier aisément le ministère de la famille aux grandes institutions de l'Écriture, soit les institutions prophétique, sacerdotale et royale, octroyant ainsi aux pères chrétiens des modèles bibliques d'hommes de Dieu qu'ils peuvent imiter.


Je vous invite à commenter ce post en exprimant ce que,
selon vous, cela signifie pour un père d'être à la fois prophète, prêtre et roi dans son foyer.

jeudi 21 décembre 2006

Adorer Jésus à Noël: histoire ou individualisme?

Nous sommes chrétiens, donc nous fêtons Noël. Bien entendu, nous ne fêtons pas cette fête comme nos contemporains, qui semblent plutôt ne retenir que l'aspect commercial et matériel de Noël: cadeaux, cadeaux! Nous fêtons comme de vrais croyants, c'est-à-dire que nous commémorons la naissance de Jésus, qui est né afin de nous sauver : il est Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous (Mathieu 1.23). Mais fêter Noël, fêter celui qui est devenu le Sauveur de chaque individu croyant, est-ce bien en cela seulement que consiste la véritable commémoration de Jésus? Se pourrait-il que dans nos célébrations familiales et ecclésiales, nous ne commémorions pas Jésus comme il convient?

Je pose cette question dans le cadre festif de Noël, puisque le contexte s'y prête bien. Mais cette même question, on pourrait aussi se la poser à tout autre moment, elle pourrait donc revêtir la forme suivante: notre adoration de Jésus s'accomplit-elle comme il convient?

D'abord, concernant Noël, il faut s'examiner soi-même et se demander: "Mon coeur y est-il vraiment? Est-il tout incliné à l'adoration?" Un coeur incliné à l'adoration, cela va de soi pour le chrétien, celui-ci ne voulant pas revêtir seulement les habits extérieurs de la religion mais, au contraire, y mettre tout son coeur. Pourtant cette simple exhortation n'est pas dénuée de sens, particulièrement de nos jours en raison du caractère hautement commercial de la fête de Noël.

Mais il est un autre aspect de l'adoration que nous rendons à Jésus qui me semble parfois ne pas revêtir complètement les traits de la véritable adoration chrétienne. Et cet aspect est l'individualisme. L'individualisme? Oui, oui, vous avez bien lu, j'ai bien utilisé le mot individualisme. Car je crois que l'adoration n'est souvent conçue et vécue que comme une affaire individuelle, rien de plus: Jésus est né, il est mort et est ressuscité pour racheter mes péchés, pour me sauver et me procurer la vie éternelle. Bien entendu, Jésus a accompli toutes ces choses pour ces raisons bien précises, et adorer Jésus pour tout cela est tout à fait légitime. Par contre si notre adoration se réduit uniquement à cette portion individuelle du salut offert par Dieu, il est certain que celle-ci n'est pas entière puisqu'elle n'est pas comprise dans la perspective historique du plan de Dieu. Car le salut de Dieu, dont la naissance de Jésus et sa carrière terrestre et sa mort et sa résurrection en sont la manifestion ultime, est d'abord et avant tout un acte historique accompli par Dieu dans la trame historique de la création. C'est une histoire dont le commencement est la création de la race humaine, qui se poursuit par la décision de l'homme de pécher et qui finalement trouve son dénouement dans la décision de Dieu de sauver son peuple élu et de juger les incrédules.

Vu dans ce contexte, on comprend que la venue de Jésus
n'est pas que l'accomplissement du salut pour moi. Une telle perspective réduirait le salut à un événement dont la portée serait uniquement individuelle. La rédemption accomplie par Jésus, au contraire, englobe l'histoire humaine dans sa totalité, du début à la fin. Le chrétien, bien sûr, sait cela. Mais s'en réjouit-il? Son adoration prend-elle en compte ce fait indéniable que Dieu est le Dieu de l'histoire et que le salut qu'il a préparé d'avance pour les siens ne peut se limiter à une perspective individualiste? Le chrétien a-t-il cette même attitude que le vieux Siméon, qui, recevant dans ses bras le petit Jésus et le voyant de ses propres yeux, bénit Dieu en disant:
Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, salut que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations, et gloire d’Israël, ton peuple. (Luc 2.27-32)
Siméon se réjouit de pouvoir mourir en paix: il a vu le salut de Dieu, cette fragile créature humaine qu'il tient dans ses faibles bras de vieillard est vraiment le Messie qu'il attendait. Pourtant sa joie personnelle s'efface immédiatement derrière une joie plus grande, plus englobante, celle de la délivrance des nations grâce à Jésus. La joie de Siméon est parfaitement au diapason du plan de Dieu, à savoir la rédemption de la race humaine en procurant aux hommes un salut universel, c'est-à-dire un salut qui va bien au-delà des frontières de la nation juive pour atteindre les croyants de partout dans le monde. Telle est l'adoration véritable du chrétien, car une telle adoration suppose une compréhension globale du plan de Dieu. C'est dans la perspective d'une telle compréhension historique du plan de Dieu que s'inscrit la conversion du croyant; hors de ce contexte, la conversion n'a aucun sens, elle devient du pur individualisme.

Puissions-nous adorer en Jésus le Dieu de l'histoire qui sauve les hommes d'entre toutes les nations et qui se constitue un peuple pour sa gloire!

dimanche 17 décembre 2006

La théologie aujourd'hui, partie 3

La lecture des parties 1 et 2 est recommandée avant de lire cette troisième partie.

Emmanuel Kant et Jean-Jacques Rousseau

Après la Renaissance et la Réforme, la phase critique suivante apparaît avec Kant et Rousseau. À leur époque, le concept d'«autonomie», né de l’œuvre de Thomas d’Aquin, reçoit une signification toute nouvelle : l’idée de grâce disparaît et le rationalisme est désormais solidement établi. On voit donc, avec Kant en particulier, s’épaissir de plus en plus la ligne entre le monde de la nature (le «niveau inférieur») et le monde des universaux (le «niveau supérieur»), Kant étant lui-même totalement incapable d’établir une relation entre ces deux mondes. Comme le souligne Francis Schaeffer, «la nature a complètement éliminé la grâce qui a laissé la place, au “niveau supérieur”, au mot “liberté”[1].» Cette «liberté» signifie que, puisqu’il est impossible de connaître Dieu à l’aide de la raison devenue autonome, l’homme a maintenant la liberté de choisir ce en quoi il désire croire. Car ce qui appartient au «niveau supérieur» est supra-rationnel.

Rousseau, cependant, mène encore plus loin que Kant le concept de la liberté. On le voit en particulier s’insurger énergiquement contre la science, qu’il considère comme une menace pour la liberté de l’homme. Certes, Rousseau accepte que l’homme soit «autonome» au «niveau inférieur». Par contre, il supporte difficilement de le voir ravalé au rang d’objet, comme s’il n’était, au «niveau inférieur», qu’un banal objet d’étude scientifique parmi d’autres. Selon lui, la liberté n’appartient pas au monde rationnel qui est le nôtre ; celle-ci ne doit pas être comprise avec ce «niveau inférieur». Il s’accroche donc désespérément au concept de liberté, car il voit très bien que le «niveau inférieur», par le truchement de la science, est maintenant en train d’engloutir totalement le «niveau supérieur». Il désire pour l’homme une liberté «autonome» au «niveau supérieur», qui puisse faire face à l’autonomie des choses qui appartiennent au «niveau inférieur». Ainsi, dans la personne de Rousseau, la liberté est pensée comme une «liberté où l’individu est le centre de l’univers, une liberté sans aucune restriction[2]». C’est pourquoi, à partir de Kant et Rousseau, les hommes ne s’expriment plus en termes de «nature et grâce» mais de «nature et liberté» :

liberté

nature

Diagramme 3

La science moderne, par contre, a poussé jusqu’à sa limite logique le principe d’«autonomie» de la nature. À l’opposé des savants des temps anciens, qui croyaient au principe de causalité à l’intérieur d’un système ouvert, c’est-à-dire d’un système qui reste ouvert sur l’infini et sur le divin, la science moderne a adopté l’idée d’un «système clos», à l’intérieur duquel est compris l’univers entier et tout ce qu’il contient. Il y a donc maintenant, prétend-on, unité parfaite entre le «niveau supérieur» et le «niveau inférieur». Mais à quel prix ? Schaeffer explique :
À notre époque, le «niveau inférieur» ayant complètement absorbé le «niveau supérieur», le savant moderniste affirme l’existence d’une unité totale entre les deux «niveaux» par suppression du «niveau supérieur». Il n’y a plus ni Dieu, ni liberté : tout est inclus dans le système[3].
Ainsi, en devenant «autonome», la nature a englouti à la fois la grâce et la liberté. Il ne pouvait en être autrement, car, dès que l’on soutient que le «niveau inférieur» est autonome, et qu’il n’a besoin ni de Dieu ni de sa Révélation, celui-ci absorbe inévitablement le «niveau supérieur». C’est précisément contre cet engloutissement d’un niveau dans l’autre qu’a réagi Rousseau : il avait en effet discerné le danger du déterminisme[4] inhérent à l’«autonomie» de la nature. Avec la science moderne, la situation ressemble maintenant à peu près à ceci[5]:

Dieu amour morale liberté raison d’être

nature – physique – science sociale et psychologie – déterminisme


Diagramme 4


[1] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, 5e édition, Genève, la Maison de la Bible, 1993, p. 36.
[2]
Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 37.
[3]
Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 39.
[4] Déterminisme : 1) Principe scientifique selon lequel les lois de la nature sont constantes, immuables : «les mêmes causes produisent les mêmes effets». 2) Doctrine philosophique niant la liberté de l’homme. Voir
Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 96.
[5] Il est intéressant de constater comment les artistes ont «intégré» dans leurs œuvres cette «autonomie» de la nature.
Le Marquis de Sade (1740-1814), par exemple, a pensé que, si l’homme est véritablement inclus dans un système clos, la morale n’a alors aucune importance, puisque la vie est entièrement déterminée. Elle n’est donc, selon lui, qu’un instrument de manipulation sociale. Il a poussé tellement loin ce raisonnement, qu’il en est même venu à croire qu’un homme puisse battre impunément une femme, la nature ayant en effet voulu que l’homme soit plus fort que la femme. Ce raisonnement, certes extrême, ne l’était pourtant pas pour un homme comme Sade, car, en réalité, celui-ci n’a fait que tirer la conséquence logique du déterminisme produit par l’«autonomie» de la nature.

vendredi 15 décembre 2006

La théologie aujourd’hui, partie 2

La lecture de la partie 1 est recommandée avant de lire cette deuxième partie.

Léonard de Vinci
Avec Léonard de Vinci, la Renaissance acquiert une conscience plus profonde des conséquences de la scission « nature et grâce » opérée par Thomas d’Aquin. Comme l’explique Francis Schaeffer, la difficulté sur laquelle bute de Vinci (qui est le premier mathématicien moderne) ressemble à ceci :

Il comprend qu’en accordant à la raison une pleine « autonomie », on aboutit aux mathématiques (ce qui se mesure), et les mathématiques ne s’intéressent qu’au particulier, à la mécanique, non à l’universel[1].
De Vinci est cependant trop conscient de la nécessité de l’unité entre la grâce et la nature, et, pour cette raison, il est incapable d’accepter cette limitation. C’est pourquoi il dessine sans relâche (achevant rarement ses tableaux), dans l’espoir de trouver une expression de l’universel. Ses efforts demeurent vains. Il meurt donc complètement désespéré, faute d’avoir pu découvrir une unité rationnelle. Ainsi, au temps de Léonard de Vinci, on peut résumer l’état de la philosophie à l’aide du diagramme que voici :

l'âme - l'universelle

les mathématiques - le particulier - la mécanique


Diagramme 2


[1] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, 5e édition, Genève, la Maison de la Bible, 1993, p. 19.

jeudi 14 décembre 2006

La théologie aujourd’hui

On ne peut pas dire que la théologie soit aujourd’hui sous les feux de la rampe. En effet, depuis quelques décennies, on assiste dans les églises locales et dans les ministères para-ecclésiastiques à un désintéressement grandissant de la tâche et du rôle de la théologie comme « expression systématique de la foi chrétienne ». Même les écoles bibliques et les universités théologiques, qui ont la tâche de préserver l’héritage spirituel des générations passées et d’aider l’Église présente à formuler sa foi, ressentent durement les contrecoups de cette baisse d’intérêt à l’égard de la théologie ! Par exemple, de nos jours, il n’est pas rare d’entendre des étudiants exprimer la crainte de perdre la foi à cause de leurs études théologiques. Bref, la théologie est aujourd’hui perçue comme un ennemi potentiel de la foi, aussi bien dans les églises que dans les diverses organisations chrétiennes, car, dit-on, la théologie met sérieusement en péril la vivacité de la foi.

Certaines raisons expliquent ce manque d’intérêt à l’égard de la théologie ainsi que la perception négative que plusieurs ont de celle-ci. Nous pensons cependant qu’il serait abusif de placer la théologie au banc des accusés comme l’unique et seule responsable de ce désintéressement. La philosophie a également joué un rôle non négligeable à cet égard. Mais attention : il ne faudrait pas, d’un autre côté, jeter tout le blâme sur la philosophie dans laquelle baigne la société actuelle. En fait, théologie et philosophie ont toutes les deux une part de responsabilité, et seule une analyse qui prend sérieusement en considération ces deux disciplines parviendra à nous éclairer dans nos efforts pour comprendre la baisse de popularité dont souffre actuellement la théologie.

La philosophie actuelle

Pour bien comprendre la philosophie contemporaine, il est essentiel d’acquérir une vision globale de l’histoire de la philosophie depuis la période de la Renaissance jusqu’à la fin du siècle des Lumières (période allant du 14e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle). Plusieurs philosophes ont marqué cette période, dont, entre autres, Thomas d’Aquin (1225-1274), Léonard de Vinci (1452-1519), Emmanuel Kant (1724-1804), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). Par souci de concision, nous considérerons seulement la pensée de ces cinq philosophes. Nous n’ignorons pas que d’autres personnes ont contribué au développement de la pensée moderne. Cependant, si nous ne retenons que ceux-là, c’est en raison du fait qu’ils résument à eux seuls les grandes étapes dans l’évolution de la pensée moderne.

Au cours de ce bref survol historique, portons particulièrement attention à la notion d’« autonomie » de l’homme (ou de la raison). Car, comme nous le verrons à la fin de ce survol, c’est cette notion qui est au cœur de la philosophie moderne.

Thomas d’Aquin

Dans sa théologie, Thomas d’Aquin s’oppose à l’influence byzantine. Car il constate très bien que la théologie byzantine élève hautement la grâce (Dieu et la Révélation) tout en ignorant la nature. Or, dans la pensée de ce philosophe du Moyen-Âge, une certaine unité existe forcément entre la grâce et la nature. C’est pourquoi il cherche à redonner à la nature sa juste place. Mais le problème, c’est qu’en voulant donner à la nature la place qui lui revient (ce qui est bien), il opère une division dans le champ de la connaissance entre grâce et nature. C’est d’ailleurs cette division qui lui permettra par la suite de développer une théologie naturelle[1]. Ce qui, ici, semble encore innocent, sera pourtant lourd de conséquences désastreuses. Voici comment Francis Schaeffer résume le problème :

Dans la pensée de Thomas d’Aquin, si la volonté de l’homme est déchue, son intelligence ne l’est pas. Cette conception limitée de la Chute, contraire à la Bible, est la cause de bien des difficultés. Ainsi, dans un domaine de sa vie, celui de l’intelligence, l’homme est considéré, maintenant, comme indépendant, « autonome »[2].

Cette « autonomie » cause en effet de grandes difficultés car, dans la pensée de ce philosophe, elle signifie que l’homme possède la capacité de prouver l’existence de Dieu sans avoir recours à la Révélation. Mais elle signifie également que la nature est indépendante et donc qu’elle n’a pas besoin de la Révélation pour être étudiée et comprise[3]. À ce point-ci, nous pouvons déjà discerner les bases de la science moderne. En effet, comme le souligne à juste titre Francis Schaeffer, « Thomas d’Aquin a ouvert la voie à un humanisme “autonome”, une philosophie “autonome”... mouvement qui, en prenant de l’ampleur, ne tardera pas à envahir tous les domaines[4] ». La situation avec Thomas d’Aquin revêt donc la forme suivante :

grâce

nature


Diagramme 1


[1] « La théologie naturelle est la partie de la philosophie qui traite de l’existence de Dieu, de ses attributs, en se fondant uniquement sur la raison et l’expérience, sans le secours de la Révélation. »; Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, 5e édition, Genève, la Maison de la Bible, 1993, p. 13.
[2] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 13.
[3] Thomas d’Aquin a beaucoup emprunté à Aristote, et cela même si, à l’époque où il a vécu, c’était le néo-platonisme qui emportait l’assentiment de la majorité des théologiens. Or cette division entre grâce et nature qu’opère Thomas d’Aquin lui vient directement d’Aristote. Daniel-Rops nous renseigne à ce sujet : « A Aristote, ce qu’il emprunta d’essentiel ce fut l’idée que l’homme peut se faire de la raison. (...) Puisqu’il [l’homme] est à la fois corps et âme (...) rien n’autorise à mépriser la guenille charnelle, comme avaient tendance à le faire les disciples de Platon ; au contraire, puisque Dieu a doté l’homme de sens, c’est de l’expérience sensorielle qu’il faut partir pour connaître le monde et découvrir Dieu dans sa création. » ; DANIEL-ROPS, L’Église de la cathédrale et de la croisade, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1955, p. 418 & 419.
[4] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 15.

dimanche 10 décembre 2006

Mille excuses!

Comme vous pouvez le constater, mon blogue a subi quelques légères modifications, comme, entre autres, l'ajout d'un lexique théologique. Or il se trouve qu'en faisant ces modifications, j'ai changé les paramètres des commentaires, de sorte qu'il vous était impossible de laisser des commentaires (merci Georges de m'en avoir averti!). Sachez que cette erreur est bien involontaire, et je suis infiniment désolé pour tous ceux et celles qui ont tenté de laisser un commentaire. J'ai corrigé le problème.

samedi 9 décembre 2006

Premier mot de mon lexique: Théologie

Théologie
Selon la définition chrétienne traditionnelle, la théologie (terme formé des mots grecs theos [Dieu] et logos [parole, discours]) est l'étude de Dieu, de sa nature, de ses attributs, de son caractère, de ses habiletés et de sa révélation. La théologie chrétienne a pour fondement la Bible, laquelle est l'autorévélation de Dieu, c'est-à-dire la révélation inscripturée des actes puissants qu'il a accomplis dans le cours de l'histoire humaine et des paroles qu'il a prononcées.

Parmi les mouvements évangéliques, la théologie a une fonction plus pratique qu'académique, bien que la nature académique de la théologie n'y soit pas totalement exclue. Cette fonction pratique provient du fait
que les Évangéliques considèrent en général la théologie comme la servante de l'Église, ce qui signifie que le théologien est appelé à servir la communauté de foi de l'intérieur. Alister McGrath explique ce point:

La théologie est la servante de l'Église. L'évangélicalisme a toujours considéré la théologie comme une partie d'un ensemble plus grand, plutôt que comme un domaine professionnel qui est complètement isolé de l'ensemble de la vie de l'Église. Le théologien n'est pas quelqu'un qui se tient au-dessus de la communauté de foi, mais c'est quelqu'un qui est profondément impliqué dans la vie de louange, de prière, d'adoration et d'évangélisation de cette communauté de foi[1].
Vu dans cette perspective, il paraît évident que la théologie n'est pas seulement une entreprise purement intellectuelle. Elle est certes une science, et, dans ce sens, on peut la ranger parmi les disciplines académiques, pourtant elle est d'abord et avant tout l'expression rationnelle de la communauté de foi chrétienne. La théologie, comme expression de foi de la communauté chrétienne, a pour objectif d'instruire l'Église dans la vérité et d'affermir la compréhension que cette dernière a de sa foi, pour lui donner de cette manière les moyens de combattre efficacement les hérésies.

Bien que la signification du mot théologie traduisait originellement l'idée d'un discours sur la personne de Dieu, on constate que ce même terme est aujourd'hui employé pour désigner de façon générale tous les domaines d'étude portant sur la doctrine chrétienne, d'où les appellations «baccalauréat en théologie» et «maîtrise en théologie», qui expriment l'ensemble des sujets étudiés dans le cadre de ce type de programmes académiques.

[1]Alister McGrath, dans The Futures of Evangelicalism: Issues and Prospects, Inter-Varsity Press, Grand Rapids, p. 26.

dimanche 3 décembre 2006

Lexique théologique

Enfin, comme promis, j'ai commencé la réalisation de mon lexique théologique. Et devinez quel est le premier terme de ce lexique. Le mot Théologie.

Ce lexique sera en construction perpétuelle, c'est-à-dire que non seulement j'y ajouterai constamment de nouveaux termes, mais je modifierai ou compléterai également les termes déjà existants, pour
approfondir leur définition.

Espérant de tout coeur que ce lexique deviendra éventuellement un outil supplémentaire pour aider l'Église de Jésus-Christ à affermir
sa foi en la connaissant et comprenant mieux.

lundi 27 novembre 2006

Dieu-Père, Fils, Esprit : un insondable amour sans rivage ni limite

Dans ce bref compte rendu, nous nous proposons de faire une analyse critique du livre que le père Paul Aubin (né en 1922, aujourd’hui professeur de la faculté de théologie des Jésuites de Paris) a écrit sur le sujet de la doctrine de la Trinité, ouvrage qui s’intitule : Dieu-Père, Fils, Esprit : un insondable amour, sans rivage ni limite (nouvelle édition, Québec, Éditions Fides, 1999, 160 p.). Nous considérerons le but qu’avait l’auteur en rédigeant ce livre, l’utilité de ce dernier, tout en mentionnant ses points forts et ses points faibles. Nous terminerons ce compte rendu en faisant part de l’appréciation que nous en avons eu.

But de l’auteur
L’ouvrage du père Aubin n’a rien à voir avec les écrits polémiques qui furent produits par de grands théologiens, lesquels prenaient conscience, chacun en son temps, du besoin urgent d’écrire pour défendre ce que le christianisme appelle la doctrine de la Trinité (ou Tri-unité). Certes, l’écrit de ce professeur Jésuite comporte son élan polémique, puisqu’il s’agit d’une affirmation théologique d’une doctrine fondamentale mais aussi très controversée. Cependant, son intention en écrivant ce livre était quelque peu différente de la plupart des œuvres théologiques, qui favorisent habituellement la polémique. On peut dire qu’il s’agit d’un éloge à l’amour, non d’un quelconque amour, mais de cet « insondable amour, sans rivage ni limite[1] », que seul possède le « Dieu-Père, Fils et Esprit » qui s’est laissé dévoiler aux yeux de tous ceux qui lui appartiennent. N’est-ce pas là d’ailleurs une sûre preuve de cette intention, lorsque l’on considère le fait que l’auteur emprunte cette pensée à Blaise Pascal (pensée n°556) et qu’il la cite dès les premières pages de son livre, dans le liminaire pour être exact : « Mais le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation, c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède » (p. 7).

La Révélation du Dieu trine et l’Amour sont donc les deux « objets » dont il est question dans cette étude. Mais il ne s’agit cependant pas d’objets qui doivent être étudiés d’une manière parallèle ou successive. Au contraire ! Selon le père Aubin, la doctrine de la Trinité ne se reçoit que dans la mesure où une relation d’amour se noue entre Dieu et sa créature. Aimer, pour Dieu, signifie qu'il se révèle tel qu’il est dans la nature même de son Être. Comme le dit l’auteur : « …la Révélation n’est pas d’abord la communication par voie surnaturelle d’un ensemble de vérités en vue d’enrichir notre savoir : elle est d’abord une affaire d’amour » (p. 127). Et cette relation d’amour, au sein de laquelle la Révélation du Dieu trine nous est donnée, puise sa source dans la personne et l’oeuvre du Messie promis. En effet : « En Jésus-Christ — Dieu tout entier mis sous nos yeux et à notre portée — le Tout-Puissant se manifeste dans le visage d’un frère : pour atteindre l’homme, il entre dans la véritable histoire humaine, c’est-à-dire qu’il s’insère dans la trame vivante de la multitude des humbles gens » (p. 132).

Ce but est-il atteint ?
Comme nous venons de le voir, le but du père Aubin en écrivant son livre consiste à présenter la doctrine de la Trinité dans la perspective du salut manifesté en Jésus-Christ, salut au travers duquel Dieu révèle pleinement son amour et l’essence même de sa personne (Trinité immanente et Trinité économique). Ce but est-il atteint ? Il semble bien que l’auteur ait réussi à communiquer le but qu’il s’était fixé et qu’il l’ait effectivement atteint. C’est là notre impression.

De plus, le but de ce livre le distingue nettement de la plupart des ouvrages qui touchent la doctrine de la Trinité. En effet, le caractère unique de cet écrit est à un tel point frappant qu’il suscite facilement la curiosité du lecteur. Bref, après la lecture de l’ouvrage du professeur Aubin, impossible de contempler le mystère de la Trinité de la même façon !

Utilité du livre
À première vue, il peut paraître ridicule de se demander quelle est l’utilité d’un livre. Puisque les publics qui liront un même livre sont habituellement variés, on peut remettre en question « l’objectivité » d’une telle démarche : comment, en effet, peut-on juger de l’utilité d’un livre sans que ne soit préalablement défini le public pour lequel il fut écrit ? Un livre n’est utile que s’il répond aux attentes des lecteurs qu’il cherche à atteindre. C’est pourquoi nous devons d’abord déterminer le public auquel l’ouvrage de Paul Aubin s'adresse avant de pouvoir évaluer son utilité.

À quel public s'adresse-t-il ?
Le père Aubin reconnaît d’emblée à quel point les grandes explications des savants bibliques et des théologiens sur le mystère trinitaire peuvent, pour plusieurs, paraître austères, ardues et déconcertantes. Toutefois, face à cet « intellectualisme tyrannique », il refuse de se laisser aller à une quelconque forme d’anti-intellectualisme et décourage même ses lecteurs de réagir de la sorte. Bien au contraire ! Le professeur Jésuite se portera même à la défense des théologiens. Il dit : « Il faut quand même prendre la défense des théologiens ! Aucun d’entre eux, surtout parmi les plus grands, n’a prétendu mieux connaître Dieu que le commun des chrétiens. Mais chacun s’approche de Dieu avec son propre tempérament, le théologien comme l’artiste, l’homme d’action comme le spéculatif, le prosateur comme le poète » (p. 18-19). Ainsi, pour le père Aubin, le sujet qu’il s’apprête à traiter concerne aussi bien les théologiens que le commun des chrétiens. Il ne faut donc pas chercher à savoir si son livre vise les premiers plus que les deuxièmes.

Mais, en réalité, le mystère trinitaire est pour tous ceux qui ont le cœur pur et qui sont attentifs à l’appel de Dieu : « Il ne faut jamais perdre de vue, en effet, que le mystère trinitaire est révélé et qu’il n’est perceptible que dans l’accueil vécu de la Révélation, dans une authentique vie de foi. » Et de continuer : « Sans doute la Trinité est un mystère, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut être paresseux ! Car, enfin, ce mystère est révélé, et il ne l’est pas pour que l’on se contente de répéter des formules orthodoxes, mais bien pour nous inviter à y pénétrer, à nous en imprégner » (p. 23). Le livre du père Aubin est donc une invitation qu’il lance à ceux et celles qui désirent le suivre et cheminer avec lui dans la contemplation de l’étendue infinie du mystère de la Trinité !

Puisque le livre du père Aubin favorise surtout la contemplation mystique de Dieu, on peut aisément le ranger, du point de vue de son utilité, parmi les ouvrages spécialement conçus pour ceux qui recherchent ce type d’expérience spirituelle. Il peut aussi être fort utile aux théologiens et aux étudiants en théologie qui cherchent à nourrir leur réflexion sur le sujet de la Trinité. On doit, à cet effet, se souvenir que le père Aubin est professeur de théologie et que son livre s’adresse premièrement à ses élèves.

Les points forts
Les quelques points forts que nous avons relevés sont les suivants : la brièveté du livre, l’originalité du sujet, la force mystique de la réflexion de l’auteur et l’équilibre de sa pensée. D’abord, du fait que l’ouvrage soit succinct ne tend pas à dissuader le lecteur d’en faire la lecture. Cela semble être un « petit point fort », mais lorsqu’il est précisément question de la doctrine de la Trinité, bien des chrétiens préfèrent les ouvrages simples et rapides à lire aux gros manuels théologiques parfois pénibles et fastidieux. Il ne s’agit aucunement ici d’encourager la paresse intellectuelle. Par contre, il faut reconnaître que la complexité de cette doctrine et les difficultés qui y sont rattachées en rebutent plus d’un dès le départ.


En outre, l’originalité du sujet —le lien que l’auteur établit entre la Révélation du mystère trinitaire et l’Amour— procure une bouffée d’air rafraîchissant (et combien !) au lecteur désireux d’approfondir sa connaissance de Dieu. Ce caractère original et singulier rend d’ailleurs difficile la classification du livre : est-ce une œuvre dogmatique, philosophique, dévote ou mystique ? À vrai dire, il s’agit un peu de tout cela. C’est sans doute en raison de cet aspect holistique que sa lecture est si enrichissante.

Le caractère mystique de cet ouvrage peut aussi le faire grandement apprécier des lecteurs. Par mystique nous entendons la réflexion exaltée et intuitive de l’auteur, qu’il est possible de comparer aux écrits des Pères de l’Église. En fait, nous avons ici à notre portée une œuvre littéraire et théologique qui nous porte à la méditation et à la contemplation. Il n’est toutefois point question pour le père Aubin d’opposer raison et expérience mystique. Mais, pour éviter que l’on se méprenne à ce sujet, il posera, dès le début de son ouvrage, les bornes qui serviront ensuite à contenir notre méditation dans les limites de la Révélation.

L’équilibre d’une réflexion se voit surtout chez les écrivains et penseurs qui n’hésitent pas à approfondir leur savoir, sans chercher les positions extrêmes ni remettre en question tout ce qu’ils savent déjà être bon. Le livre du père Aubin est un exemple notoire d’une telle réussite. En effet, son écrit respire l’harmonie dans les concepts qui y sont exposés, sans aucune exagération ni digression. Bref, le lecteur y trouvera le fruit de longues années de réflexion, où chaque aspect de la doctrine fut calmement médité et considéré dans son ensemble.

Les points faibles
Nous pourrions avoir deux reproches à faire à propos de ce livre : le manque de rigueur académique et la pauvreté bibliographique.

La pensée contemplative et mystique de l’auteur nous laisse malheureusement fort déçus en ce qui a trait à la rigueur académique. Quoique la réflexion proposée par le père Aubin soit harmonieuse et bien équilibrée, il semble toutefois que celui-ci eut beaucoup gagné à être plus précis dans la présentation de ses idées en adoptant une méthodologie de travail plus rigoureuse. Il lui arrive souvent de sortir du cadre qu’il s’était fixé pour le développement d’un paragraphe pour aller glaner ça et là des informations qui ne semblent pas toujours suivre le fil de l’idée directrice. Cette façon de faire est agaçante. Mais l’on peut facilement y remédier en ne lisant pas ce livre comme un ouvrage de théologie systématique.

Quelques indications bibliographiques auraient été fort appréciées, surtout par ceux et celles qui désireraient approfondir le sujet. Cette regrettable omission donne la malheureuse impression d’un abandon et d’une déresponsabilisation doctrinale à l’égard de ses lecteurs.

Appréciation personnelle
D’une façon générale, j’ai beaucoup apprécié l’ouvrage du père Aubin. Il fut pour moi comme une révélation qui me permit de voir le mystère de la Trinité sous un jour nouveau. Jamais auparavant je n’avais réfléchi à ce mystère dans la perspective de l’Amour divin. Sa lecture fut pour moi très captivante et enrichissante.


[1]Les bouts de phrases en italique qui se trouvent entre les guillemets appartiennent à l’ouvrage du père Aubin. Cependant, les éléments de l’adresse bibliographique de ces citations ne sont pas indiqués.

dimanche 26 novembre 2006

Réflexion sur l'autorité ecclésiale et le docteur

Je vous présente ici une réflexion, que j'ai présentée au conseil des anciens de mon église locale. Il s'agit pour l'instant d'une réflexion en cours et non d'une prise de position définitive. Je suppose que, dans les années à venir, certains éléments et aspects de cette réflexion se préciseront. N'hésitez pas à émettre vos commentaires.

* * *

Avant-propos
Quelques mots suffiront pour présenter ce bref travail. Comme le lecteur s’en apercevra dès la lecture des premières lignes, le présent document ne se veut d’aucune façon une étude exhaustive du ministère de docteur. Il s’agit plutôt d’une présentation sommaire d’une réflexion amorcée, et encore « sur le chantier », à propos de la place et du rôle du docteur au sein de l’Église. C’est ce qui explique les idées parfois décousues et exposées de manière succincte que le lecteur découvrira au fil de la lecture. Notre intention est d’ailleurs de mener cette réflexion plus en profondeur, peut-être dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, espérant en effet qu’une réflexion de la sorte portera éventuellement son fruit au sein de l’Église même.

Un terme nous paraît devoir être expliqué déjà en avant-propos. Il s’agit du mot « magistère ». Dans le dictionnaire le Petit Robert, le terme magistère est défini comme suit : « une autorité doctrinale, morale ou intellectuelle s’imposant de façon absolue ». Bien que ce sens convienne assez bien, nous aimerions tout de même ajouter ceci : l’Église a certes une très grande autorité, celle-ci étant même quasi absolue, mais il ne faudrait pas oublier que cette autorité est une autorité dérivée : c’est de Christ en effet que l’Église reçoit ce magistère. Et ce magistère lui est transmis, et il lui est transmis de cette façon et d’aucune autre manière, par la Parole de Dieu «inscripturée» dans la Bible. L’Église a donc autorité dans la mesure où elle s’applique consciencieusement à obéir à la Parole de Dieu tout en laissant clairement entendre que c’est uniquement à cette Parole de Dieu qu’elle obéit.

Gatineau, décembre 2004


Le docteur et le magistère de l’Église

Le ministère de docteur ne relève pas du séculier; dans le Nouveau Testament, il s’agit d’un ordre ecclésiastique institué par le Saint Esprit, donc d’un ministère appartenant en propre à l’Église de Dieu. Aussi, comme l’a écrit l’apôtre Paul, ce n’est pas tant le don d’enseignant qui est accordée à l’Église par le Saint Esprit que la personne même du docteur. C’est donc le docteur en tant qu’il est cette personne ayant un don d’enseignant qui est donné à l’Église. De ce fait découle cet autre fait : le docteur est placé directement sous le magistère de l’Église, comme le sont de la même manière les pasteurs et évangélistes. En effet, puisque ce ministère est un don accordé à l’Église, il serait difficile de le considérer autrement qu’une propriété de l’Église.

Pour être plus concret, être la propriété de l’Église signifie ceci : que le docteur ne s’appartient pas, que les choix qu’il doit faire en ce qui a trait à son ministère de docteur (les études bibliques et théologiques, les différents contextes ecclésiastiques, académiques ou autres où il exerce son ministère, etc.) devraient être soumis à l’autorité et au jugement de l’Église, et ce afin que celle-ci, selon la sagesse que Dieu lui donne, guide le docteur là où il servira le mieux la cause du Christ. Cette exigence peut paraître limitative, voire contraignante pour les docteurs, mais n’est-ce pas là déjà la manière dont procède l’Église à l’égard des pasteurs et évangélistes? Et puis, il faut sérieusement réfléchir à ce qu’on pourrait estimer être une contrainte : le fait d’être placé sous l’autorité et la direction de l’Église représente-t-il vraiment une situation contraignante pour les ministres du Christ? À cela nous répondons par la négative. Car là où l’Esprit de Dieu distribue librement les dons, il ne peut y avoir que liberté authentique pour les ministres du Christ. En effet, la liberté du chrétien réside précisément là où réside la libre volonté de Dieu. Or la volonté de Dieu est de donner des docteurs à l’Église et de les y soumettre. Et c’est parce que la liberté authentique du docteur consiste à obéir à Dieu qu’il pourra alors discerner dans cette façon de faire une occasion d’œuvrer volontairement et joyeusement pour la cause du Christ. Il ne s’agit donc pas d’une question de contrainte, mais de véritable liberté accordée par le Saint Esprit.

Si donc un frère chrétien se nomme « docteur », mais n’est pas sous l’autorité de l’Église quant à la direction et l’utilisation de sa vocation de docteur au sein du corps du Christ, il n’a aucun droit de porter ce titre. Qu’il reçoive le titre de professeur de religion ou professeur de théologie est au pis aller une désignation acceptable, cependant, on ne peut pas et on ne doit pas le reconnaître comme docteur au sens biblique du terme. C’est pourquoi aussi une faculté de théologie qui consent à nommer un frère chrétien « docteur », sans que celui-ci soit en même temps placé sous le magistère de l’Église, rompt du même coup le rapport d’autorité institué par l’apôtre Paul entre l’Église et ses ministres. Car selon Paul, les docteurs, à l’instar des pasteurs et des évangélistes, sont sous l’autorité de l’Église. En d’autres termes, hors de l’Église, il ne peut naître de ministère de docteur, pas même dans un institut biblique(1).


Conséquences de la rupture entre Église et docteur

La rupture dans le rapport d’autorité que nous venons de mentionner n’est certainement pas sans conséquences. Elle indique en effet qu’un frère peut s’approprier un titre et une tâche d’origine ecclésiale sans être lui-même sous le magistère de l’Église. Or les églises locales qui acceptent cet état de choses sont fautives, d’abord parce qu’elles refusent de discerner l’action du Saint Esprit, qui donne à l’Église des docteurs, mais aussi parce qu’elles ne se soucient pas de prendre toutes leurs responsabilités du fait qu’elles ne s’impliquent pas dans la mise à part, la formation et l’orientation ministérielle de ces mêmes docteurs.


Et du docteur dans l’Église?

En ce qui a trait à l’enseignement du docteur qui peut et doit être transmis à l’Église, cet enseignement peut être dispensé directement par le docteur lui-même, quoiqu’il ne faille pas oublier qu’un travail d’assimilation et de vulgarisation du travail des docteurs s’opère également indirectement, c’est-à-dire par le truchement des pasteurs ou d’autres membres de l’Église qui ont aussi la responsabilité d’enseigner.


Et du docteur dans l’institut biblique?

Il est vrai que l’enseignement d’un docteur œuvrant au sein d’une faculté de théologie n’est pas toujours accessible à tous les chrétiens; les recherches et travaux qu’entreprend d’ordinaire le docteur sont parfois d’une telle technicité et herméticité, qu’il peut devenir difficile à un non spécialiste de profiter directement du travail du docteur. Or même si l’œuvre théologique d’un docteur renferme quelques points difficiles à comprendre, il n’en demeure pas moins que cette œuvre théologique a pour but la croissance spirituelle de l’Église et sa protection contre l’hérésie.

La question d’autorité, cependant, ne concerne pas d’abord la possibilité de transmission d’un savoir; il s’agit en fait d’une question de magistère : est-ce l’Église qui a envoyé le docteur pour qu’il œuvre comme enseignant au sein d’un institut de théologie? Se rappelant qu’il appartient à l’Église et qu’il a été nommé par elle, celui-ci doit par conséquent être sans cesse mû, dans sa tâche académique de docteur, par le désir de contribuer significativement à la vie spirituelle de l’Église de Jésus-Christ.

C’est pourquoi d’ailleurs la tâche d’un docteur de théologie est fort différente de celle de tout autre type de professorat au sein des diverses disciplines universitaires : il s’agit d’une vocation céleste. À ce titre, le docteur doit se considérer comme un serviteur du Christ dont l’œuvre a comme point de départ et comme finalité l’Église de Jésus-Christ. S’il dévie un tant soit peu de cette route tracée par l’Esprit de Christ, ce n’est plus alors à titre de ministre du Christ qu’un tel homme agit; il est par conséquent coupable de sécularisation de l’héritage théologique chrétien (les théologiens libéraux sont un exemple manifeste de cette forme de sécularisation théologique, ceux-ci estimant en effet que c’est la société, et non plus l’Église, qui est le point de départ et la finalité de la théologie).

On doit aussi distinguer le docteur chrétien du docteur universitaire : ce dernier est en effet titré de la sorte à la suite d’études doctorales, alors que le docteur chrétien peut ne pas avoir étudié dans le système académique du pays dont il est citoyen ou résident.

(1) Il peut certes y avoir des hommes qui font œuvre de docteur au sein d’un institut biblique, ceux-ci pouvant même être nommément désignés comme tels. Cependant, si ces hommes n’ont pas été institués par l’Église, ils ne sont pas en droit de porter ce titre.

samedi 18 novembre 2006

Consolez-vous donc les uns les autres

Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme les autres qui n’ont pas d’espérance. En effet, si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, (nous croyons aussi que) Dieu ramènera aussi par Jésus, et avec lui, ceux qui se sont endormis. Voici, en effet, ce que nous vous déclarons, d’après une parole du Seigneur: nous les vivants, restés pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d’un archange, au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront en premier lieu. Ensuite, nous les vivants, qui serons restés, nous serons enlevés ensemble avec eux dans les nuées, à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles (1 Th 4.13-18).

Que veut dire le mot consolation?

Le mot consolation, du grec terme parakaleô, signifie littéralement: «appeler quelqu’un à ses côtés pour l’exhorter, lui rappeler ses devoirs, ou l’encourager, le conseiller, le consoler», rendant ainsi, dans le contexte de l'épître, l'idée d'exhortation, de réconfort et de consolation. C’est l’idée d’être proche de l’autre pour l’aider à passer sa souffrance. C’est aussi oublier son propre bonheur, pour pleurer avec ceux qui pleurent dans le but de leur offrir la consolation dont ils ont besoin (lire Ro 12.15).

Dans quel contexte a été écrite cette exhortation à nous consoler les uns les autres?

Les Thessaloniciens s’affligeaient à cause du décès de quelques chrétiens ayant trépassé avant même le retour de Christ. C'est que les croyants, à Thessalonique, croyaient à tort que le retour de Christ se réaliserait avant même qu'un seul des enfants de Dieu ne meure. Mais Paul leur rappelle l’espérance qui est certaine et immuable en Christ, à savoir notre résurrection et notre rencontre avec le Seigneur, que nous ayons trépassé ou non!

Pourquoi l’apôtre Paul demande-t-il que nous nous consolions les uns les autres?

Parce que le croyant est différent de l’incroyant: le croyant a une espérance, et à cause de cela il peut être consolé.

Qui doit-on consoler? Qui est désigné par «les uns les autres»?

Les chrétiens seulement.

De quelle façon se console-t-on les uns les autres?

«Par ces paroles», c’est-à-dire les paroles de Paul à propos de la résurrection finale des morts et de notre enlèvement dans la airs à la rencontre du Seigneur.

Est-ce que le fait de lier le retour de Jésus à la consolation veut dire que nous devons toujours consoler les autres en leur rappelant que Jésus est ressucité et qu'il revient?

Forcément. Nous pouvons nous consoler mutuellement parce que nous savons très bien que notre espérance est en Dieu. Et cette espérance qui est nôtre est vivante! Or l'espérance qui vient de Dieu s'inscrit nécessairement dans le fait certain de la résurrection de Jésus-Christ et de son retour imminent, car ce sont bien ces deux événements qui constituent le fondement de notre espérance. Si notre espérance est vivante, c'est parce que lui, le Christ, est vivant et s'apprête à revenir bientôt ; notre espérance est vivante parce que ce n'est pas la venue d'un mort que nous attendons impatiemment, mais celle du Vivant. C'est pourquoi l'apôtre Pierre a pu s'écrier :

Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour une espérance vivante (1 Pi 1.3).
L'enseignement de Paul aux Thessaloniciens signifie-t-il que le chrétien n'a pas le droit d'être triste?

En réalité, Paul ne dit pas qu’on ne doit pas être triste, mais il dit de ne pas être triste «comme les autres qui n’ont pas d’espérance» (1 Th 4.13).

La consolation que se rendent mutuellement les chrétiens est-elle une consolation authentique?

Si nous pouvons nous consoler les uns les autres, c’est parce que nous savons que notre Dieu est vivant et qu’il nous console vraiment; ainsi, la consolation que nous pouvons donner aux autres est une consolation authentique, basée sur la vérité de Dieu.
Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père compatissant et le Dieu de toute consolation, lui qui nous console dans toutes nos afflictions, afin que, par la consolation que nous recevons nous-mêmes de la part de Dieu, nous puissions consoler ceux qui se trouvent dans toute sorte d’afflictions! (2 Co 1.3-4).

Existe-t-il une seule manière de se consoler les uns les autres?

Nous pouvons consoler de plusieurs manières, mais dans chaque cas, nous pouvons apporter une consolation uniquement parce que nous avons d'abord nous-mêmes reçu de Dieu la consolation. L’important n’est pas la manière de consoler, mais la nature de la consolation.

mercredi 15 novembre 2006

Supportez-vous les uns les autres

Je vous exhorte donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience. Supportez-vous les uns les autres avec amour, en vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix (Ep 4.1-3).


Aimer son prochain suppose de le «supporter avec amour; comme le Sauveur “a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies” (Mt 8.17), ses disciples portent les fardeaux de leurs frères; non seulement les épreuves, les peines de leur vie au sens le plus général, mais leur faiblesse morale, leurs déficiences psychologiques (1 Th 5.14), leur inertie religieuse ou leurs scrupules, tout ce qui rend un “prochain” pesant ou exacerbant. Au lieu de le fuir ou de le mépriser, on le prend en charge, en se montrant fraternellement accueillant à son égard».

C. Spicq

A) Signification du verbe «supporter»

Plusieurs verbes grecs peuvent se traduire en français par le mot «supporter». Le verbe qui nous intéresse, cependant, est celui qui se trouve en Éphésiens 4.2, verset dans lequel il est question du thème les uns les autres. Il s’agit du verbe anéchomai. Aussi lisons-nous:

Je vous exhorte donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience. Supportez-vous les uns les autres avec amour, en vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix (Ep 4.1-3).

Ce verbe faisait originellement partie du langage militaire. Il signifiait alors: supporter la pression de l’ennemi, en particulier lorsque les attaques se font nombreuses et qu’il faut résister pour ne pas être vaincu ni abattu.

Dans le grec non biblique, ce même verbe a le sens de «retenir», «persévérer», «supporter».

Dans la Septante, c’est-à-dire la version grecque de l’Ancien Testament, il est utilisé «quand on se retient de faire une action qui essaie de nous pousser en avant». Dans notre contexte contemporain, l’exemple qui illustre bien la signification de ce verbe est celui d’un parent dont l’enfant a fait une bêtise: au lieu d’asséner une taloche impulsive à la figure de son gamin, ce parent se retient de le frapper, il supporte la situation et ne se laisse pas gouverner par ses émotions.

Anéchomai signifie donc:

a) Refuser d’abandonner la partie quand la pression exercée sur nous devient de plus en plus vive, comme l’exprime très bien l’exemple des soldats sous le feu de l’ennemi. On parle alors d’endurance.

b) Mais c’est également l’idée de maîtrise de soi: supporter, c’est être maître de ses émotions et actions; c’est se retenir de porter un geste que nous serions impulsivement tentés de commettre.

B) Emplois du verbe anéchomai dans le Nouveau Testament

Dans quels contextes le verbe anéchomai est-il employé dans le Nouveau Testament?

1) Dans les évangiles

Jésus s’est servi de ce verbe pour marquer son exclamation face à ses disciples incrédules qui n’étaient pas parvenus à venir au secours d’un enfant possédé d’un démon:

Jésus répondit: Race incrédule et perverse, jusques à quand serai-je avec vous? Jusques à quand vous supporterai-je? Amenez-le-moi ici (Mt 17.17; voir également Mc 9.19; Lc 9.41).

2) Dans les lettres de Paul

L’apôtre Paul emploie ce verbe pour parler de l’attitude adoptée par les croyants qui sont persécutés. Nous avons l’exemple de Paul et ses compagnons d’œuvre ainsi que celui des membres de l’Église de Thessalonique:

Jusqu’à cette heure, nous sommes exposés à la faim, à la soif, au dénuement, aux coups, à une vie errante; nous nous fatiguons à travailler de nos propres mains; insultés, nous bénissons; persécutés, nous supportons (1 Co 4.11-12).

Aussi nous glorifions-nous de vous dans les Églises de Dieu à cause de votre persévérance et de votre foi, dans toutes vos persécutions et les afflictions que vous supportez (2 Th 1.4).

Paul utilise ce même verbe pour parler des hommes qui, à un certain temps de l’avenir, ne supporteront plus la saine doctrine:

Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine; mais au gré de leurs propres désirs, avec la démangeaison d’écouter, ils se donneront maîtres sur maîtres (2 Ti 4.3).

Enfin, dans la lettre qu’il écrit aux Colossiens, il emploie anéchomai dans un contexte similaire à celui de l’épître aux Éphésiens:

Supportez-vous les uns les autres et faites-vous grâce réciproquement; si quelqu’un a à se plaindre d’un autre, comme le Christ vous a fait grâce, vous aussi, faites de même. Mais par-dessus tout, revêtez-vous de l’amour qui est le lien de la perfection (Col 3.13-14).

Dans tous ces textes bibliques, cependant, le verbe anéchomai exprime l’idée de quelque chose qui est désagréable ou pénible à endurer. Ce qui signifie que les choses qu’il nous faut supporter ne sont jamais des choses auxquelles nous sommes naturellement enclins.

C) Questions de transition

Pourquoi l’apôtre Paul exhorte-t-il les membres de l’Église d’Éphèse à se supporter les uns les autres? Les Éphésiens étaient-ils à un tel point pénibles et désagréables les uns pour les autres?

Bien entendu, les membres de l’Église d’Éphèse devaient avoir leur lot de griefs les uns à l’égard des autres: un tel ne fait jamais correctement ce qu’on lui demande, tel autre est toujours en retard, celui-là est têtu et ainsi de suite. Et on doit humblement reconnaître que toutes les églises, de l’époque de l’Église primitive jusqu’à notre ère moderne, ont dû et doivent encore faire face à ce même type de problèmes interpersonnels. Mais est-ce là la seule raison qui a poussé Paul à demander aux Éphésiens de se «supporter les uns les autres»? Pour répondre à cette dernière question, il est essentiel de bien connaître le contexte immédiat ou est situé notre passage biblique (Ep 4.1-3).

D) Contexte immédiat d’Éphésiens 4.1-3

1) Avant Éphésiens 4.1-3

Dans le chapitre qui précède notre passage, Paul expose aux Éphésiens l’intelligence qu’il a du «mystère du Christ»:

C’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère, comme je viens de l’écrire en quelques mots. En les lisant, vous pouvez comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes: les païens ont un même héritage, forment un même corps et participent à la même promesse en Christ-Jésus par l’Évangile (Ep 3.1-6).

Il rappelle également aux païens la situation dans laquelle ceux-ci se trouvaient auparavant, c’est-à-dire avant de connaître le Christ, et ce qu’ils sont désormais en Christ:

Souvenez-vous donc de ceci: autrefois, vous, païens dans la chair, traités d’incirconcis par ceux qui se disent circoncis et qui le sont dans la chair et par la main des hommes, vous étiez en ce temps-là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. Mais maintenant, en Christ-Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang de Christ. Car c’est lui notre paix, lui qui des deux n’en a fait qu’un, en détruisant le mur de séparation, l’inimitié. Il a dans sa chair annulé la loi avec ses commandements et leurs dispositions, pour créer en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau en faisant la paix, et pour les réconcilier avec Dieu tous deux en un seul corps par sa croix, en faisant mourir par elle l’inimitié. Il est venu annoncer comme une bonne nouvelle, la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches; car par lui, nous avons les uns et les autres accès auprès du Père dans un même Esprit (Ep 2.11-17).

2) Après Éphésiens 4.1-3

Aussitôt après avoir donné aux Éphésiens l’obligation de se supporter les uns les autres, Paul engage une discussion à propos de l’unité de l’Esprit qui doit être conservée par le lien de la paix. Autrement dit, le mur de séparation qui a été détruit, il faut prendre garde de ne pas le rebâtir. Nous lisons donc:

En vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance, celle de votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous (Ep 4.3-6).

Non seulement les membres de l’Église d’Éphèse doivent-ils conserver l’unité de l’Esprit, mais ils ont également le devoir de mettre leurs dons spirituels au service des autres dans le but d’affermir cette unité:

C’est lui qui a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints. Cela en vue de l’oeuvre du service et de l’édification du corps du Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ (Ep 4.11-13).


Du contexte immédiat d’Éphésiens 4.1-3, nous retirons donc ceci:

a) Les Éphésiens doivent apprendre à vivre ensemble, c’est-à-dire apprendre à se supporter les uns les autres, parce que c’est là le plan de Dieu de réconcilier des femmes et des hommes tirés de toutes les nations.

b) Mais il faut également se mettre au service des autres, pour atteindre tous ensemble la stature d’homme fait. C’est d’ailleurs ce que signifie «se supporter les uns les autres avec amour». Car il appartient à la nature même de l’amour de toujours chercher l’intérêt de l’autre (voir aussi Ep 4.15).

E) Application pour nous aujourd’hui

Comment appliquer ces vérités pour nous aujourd’hui? Que signifie en effet, dans le contexte de nos églises locales respectives, cette exhortation de Paul à «se supporter les uns les autres avec amour»? Nous proposons deux applications:

a) L’application la plus évidente est bien entendu celle concernant les différences culturelles: dans l’Église de Jésus-Christ, nul n’a le droit d’être jugé ou disqualifié à cause de ses origines ethniques! Supportons les différences, même si parfois cela ne nous plaît pas.

b) Ensuite, dans un contexte plus élargi, se trouvent les fardeaux de nos frères et sœurs en la foi, leurs épreuves, leurs peines de toutes sortes, mais également leurs faiblesses morales, leurs déficiences psychologiques, leurs personnalités différentes. Face à toutes ces choses, un seul comportement est souhaitable: supporter l’autre et l’aider à grandir là où il éprouve des difficultés.

En conclusion, nous devons nous souvenir que nos vies font partie d’un plan divin qui nous surpasse. Nous appartenons à Christ et nos intérêts devraient par conséquent être les mêmes que ceux du Christ. Nous ne vivons pas pour nous accomplir ni pour nous «tailler une place sous le soleil», mais pour accomplir la volonté de notre Père céleste. Un des enjeux fondamentaux de nos vies dans ce plan divin, c’est de travailler à l’édification du corps du Christ. Or si, pour réaliser cette tâche, il nous faut œuvrer avec des sœurs et des frères différents de nous ou dont le caractère est difficile, nous sommes tenus de les supporter et de les aider à grandir. Telle est en effet la volonté de Dieu pour son Église.

Amen