jeudi 14 décembre 2006

La théologie aujourd’hui

On ne peut pas dire que la théologie soit aujourd’hui sous les feux de la rampe. En effet, depuis quelques décennies, on assiste dans les églises locales et dans les ministères para-ecclésiastiques à un désintéressement grandissant de la tâche et du rôle de la théologie comme « expression systématique de la foi chrétienne ». Même les écoles bibliques et les universités théologiques, qui ont la tâche de préserver l’héritage spirituel des générations passées et d’aider l’Église présente à formuler sa foi, ressentent durement les contrecoups de cette baisse d’intérêt à l’égard de la théologie ! Par exemple, de nos jours, il n’est pas rare d’entendre des étudiants exprimer la crainte de perdre la foi à cause de leurs études théologiques. Bref, la théologie est aujourd’hui perçue comme un ennemi potentiel de la foi, aussi bien dans les églises que dans les diverses organisations chrétiennes, car, dit-on, la théologie met sérieusement en péril la vivacité de la foi.

Certaines raisons expliquent ce manque d’intérêt à l’égard de la théologie ainsi que la perception négative que plusieurs ont de celle-ci. Nous pensons cependant qu’il serait abusif de placer la théologie au banc des accusés comme l’unique et seule responsable de ce désintéressement. La philosophie a également joué un rôle non négligeable à cet égard. Mais attention : il ne faudrait pas, d’un autre côté, jeter tout le blâme sur la philosophie dans laquelle baigne la société actuelle. En fait, théologie et philosophie ont toutes les deux une part de responsabilité, et seule une analyse qui prend sérieusement en considération ces deux disciplines parviendra à nous éclairer dans nos efforts pour comprendre la baisse de popularité dont souffre actuellement la théologie.

La philosophie actuelle

Pour bien comprendre la philosophie contemporaine, il est essentiel d’acquérir une vision globale de l’histoire de la philosophie depuis la période de la Renaissance jusqu’à la fin du siècle des Lumières (période allant du 14e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle). Plusieurs philosophes ont marqué cette période, dont, entre autres, Thomas d’Aquin (1225-1274), Léonard de Vinci (1452-1519), Emmanuel Kant (1724-1804), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). Par souci de concision, nous considérerons seulement la pensée de ces cinq philosophes. Nous n’ignorons pas que d’autres personnes ont contribué au développement de la pensée moderne. Cependant, si nous ne retenons que ceux-là, c’est en raison du fait qu’ils résument à eux seuls les grandes étapes dans l’évolution de la pensée moderne.

Au cours de ce bref survol historique, portons particulièrement attention à la notion d’« autonomie » de l’homme (ou de la raison). Car, comme nous le verrons à la fin de ce survol, c’est cette notion qui est au cœur de la philosophie moderne.

Thomas d’Aquin

Dans sa théologie, Thomas d’Aquin s’oppose à l’influence byzantine. Car il constate très bien que la théologie byzantine élève hautement la grâce (Dieu et la Révélation) tout en ignorant la nature. Or, dans la pensée de ce philosophe du Moyen-Âge, une certaine unité existe forcément entre la grâce et la nature. C’est pourquoi il cherche à redonner à la nature sa juste place. Mais le problème, c’est qu’en voulant donner à la nature la place qui lui revient (ce qui est bien), il opère une division dans le champ de la connaissance entre grâce et nature. C’est d’ailleurs cette division qui lui permettra par la suite de développer une théologie naturelle[1]. Ce qui, ici, semble encore innocent, sera pourtant lourd de conséquences désastreuses. Voici comment Francis Schaeffer résume le problème :

Dans la pensée de Thomas d’Aquin, si la volonté de l’homme est déchue, son intelligence ne l’est pas. Cette conception limitée de la Chute, contraire à la Bible, est la cause de bien des difficultés. Ainsi, dans un domaine de sa vie, celui de l’intelligence, l’homme est considéré, maintenant, comme indépendant, « autonome »[2].

Cette « autonomie » cause en effet de grandes difficultés car, dans la pensée de ce philosophe, elle signifie que l’homme possède la capacité de prouver l’existence de Dieu sans avoir recours à la Révélation. Mais elle signifie également que la nature est indépendante et donc qu’elle n’a pas besoin de la Révélation pour être étudiée et comprise[3]. À ce point-ci, nous pouvons déjà discerner les bases de la science moderne. En effet, comme le souligne à juste titre Francis Schaeffer, « Thomas d’Aquin a ouvert la voie à un humanisme “autonome”, une philosophie “autonome”... mouvement qui, en prenant de l’ampleur, ne tardera pas à envahir tous les domaines[4] ». La situation avec Thomas d’Aquin revêt donc la forme suivante :

grâce

nature


Diagramme 1


[1] « La théologie naturelle est la partie de la philosophie qui traite de l’existence de Dieu, de ses attributs, en se fondant uniquement sur la raison et l’expérience, sans le secours de la Révélation. »; Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, 5e édition, Genève, la Maison de la Bible, 1993, p. 13.
[2] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 13.
[3] Thomas d’Aquin a beaucoup emprunté à Aristote, et cela même si, à l’époque où il a vécu, c’était le néo-platonisme qui emportait l’assentiment de la majorité des théologiens. Or cette division entre grâce et nature qu’opère Thomas d’Aquin lui vient directement d’Aristote. Daniel-Rops nous renseigne à ce sujet : « A Aristote, ce qu’il emprunta d’essentiel ce fut l’idée que l’homme peut se faire de la raison. (...) Puisqu’il [l’homme] est à la fois corps et âme (...) rien n’autorise à mépriser la guenille charnelle, comme avaient tendance à le faire les disciples de Platon ; au contraire, puisque Dieu a doté l’homme de sens, c’est de l’expérience sensorielle qu’il faut partir pour connaître le monde et découvrir Dieu dans sa création. » ; DANIEL-ROPS, L’Église de la cathédrale et de la croisade, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1955, p. 418 & 419.
[4] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 15.

0 commentaires: