dimanche 17 décembre 2006

La théologie aujourd'hui, partie 3

La lecture des parties 1 et 2 est recommandée avant de lire cette troisième partie.

Emmanuel Kant et Jean-Jacques Rousseau

Après la Renaissance et la Réforme, la phase critique suivante apparaît avec Kant et Rousseau. À leur époque, le concept d'«autonomie», né de l’œuvre de Thomas d’Aquin, reçoit une signification toute nouvelle : l’idée de grâce disparaît et le rationalisme est désormais solidement établi. On voit donc, avec Kant en particulier, s’épaissir de plus en plus la ligne entre le monde de la nature (le «niveau inférieur») et le monde des universaux (le «niveau supérieur»), Kant étant lui-même totalement incapable d’établir une relation entre ces deux mondes. Comme le souligne Francis Schaeffer, «la nature a complètement éliminé la grâce qui a laissé la place, au “niveau supérieur”, au mot “liberté”[1].» Cette «liberté» signifie que, puisqu’il est impossible de connaître Dieu à l’aide de la raison devenue autonome, l’homme a maintenant la liberté de choisir ce en quoi il désire croire. Car ce qui appartient au «niveau supérieur» est supra-rationnel.

Rousseau, cependant, mène encore plus loin que Kant le concept de la liberté. On le voit en particulier s’insurger énergiquement contre la science, qu’il considère comme une menace pour la liberté de l’homme. Certes, Rousseau accepte que l’homme soit «autonome» au «niveau inférieur». Par contre, il supporte difficilement de le voir ravalé au rang d’objet, comme s’il n’était, au «niveau inférieur», qu’un banal objet d’étude scientifique parmi d’autres. Selon lui, la liberté n’appartient pas au monde rationnel qui est le nôtre ; celle-ci ne doit pas être comprise avec ce «niveau inférieur». Il s’accroche donc désespérément au concept de liberté, car il voit très bien que le «niveau inférieur», par le truchement de la science, est maintenant en train d’engloutir totalement le «niveau supérieur». Il désire pour l’homme une liberté «autonome» au «niveau supérieur», qui puisse faire face à l’autonomie des choses qui appartiennent au «niveau inférieur». Ainsi, dans la personne de Rousseau, la liberté est pensée comme une «liberté où l’individu est le centre de l’univers, une liberté sans aucune restriction[2]». C’est pourquoi, à partir de Kant et Rousseau, les hommes ne s’expriment plus en termes de «nature et grâce» mais de «nature et liberté» :

liberté

nature

Diagramme 3

La science moderne, par contre, a poussé jusqu’à sa limite logique le principe d’«autonomie» de la nature. À l’opposé des savants des temps anciens, qui croyaient au principe de causalité à l’intérieur d’un système ouvert, c’est-à-dire d’un système qui reste ouvert sur l’infini et sur le divin, la science moderne a adopté l’idée d’un «système clos», à l’intérieur duquel est compris l’univers entier et tout ce qu’il contient. Il y a donc maintenant, prétend-on, unité parfaite entre le «niveau supérieur» et le «niveau inférieur». Mais à quel prix ? Schaeffer explique :
À notre époque, le «niveau inférieur» ayant complètement absorbé le «niveau supérieur», le savant moderniste affirme l’existence d’une unité totale entre les deux «niveaux» par suppression du «niveau supérieur». Il n’y a plus ni Dieu, ni liberté : tout est inclus dans le système[3].
Ainsi, en devenant «autonome», la nature a englouti à la fois la grâce et la liberté. Il ne pouvait en être autrement, car, dès que l’on soutient que le «niveau inférieur» est autonome, et qu’il n’a besoin ni de Dieu ni de sa Révélation, celui-ci absorbe inévitablement le «niveau supérieur». C’est précisément contre cet engloutissement d’un niveau dans l’autre qu’a réagi Rousseau : il avait en effet discerné le danger du déterminisme[4] inhérent à l’«autonomie» de la nature. Avec la science moderne, la situation ressemble maintenant à peu près à ceci[5]:

Dieu amour morale liberté raison d’être

nature – physique – science sociale et psychologie – déterminisme


Diagramme 4


[1] Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, 5e édition, Genève, la Maison de la Bible, 1993, p. 36.
[2]
Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 37.
[3]
Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 39.
[4] Déterminisme : 1) Principe scientifique selon lequel les lois de la nature sont constantes, immuables : «les mêmes causes produisent les mêmes effets». 2) Doctrine philosophique niant la liberté de l’homme. Voir
Francis SCHAEFFER, Démission de la raison, op.cit., p. 96.
[5] Il est intéressant de constater comment les artistes ont «intégré» dans leurs œuvres cette «autonomie» de la nature.
Le Marquis de Sade (1740-1814), par exemple, a pensé que, si l’homme est véritablement inclus dans un système clos, la morale n’a alors aucune importance, puisque la vie est entièrement déterminée. Elle n’est donc, selon lui, qu’un instrument de manipulation sociale. Il a poussé tellement loin ce raisonnement, qu’il en est même venu à croire qu’un homme puisse battre impunément une femme, la nature ayant en effet voulu que l’homme soit plus fort que la femme. Ce raisonnement, certes extrême, ne l’était pourtant pas pour un homme comme Sade, car, en réalité, celui-ci n’a fait que tirer la conséquence logique du déterminisme produit par l’«autonomie» de la nature.

1 commentaires:

Anonyme 20 décembre 2006 à 16:30  

Allo Daniel, j'ai lu, Démission de la raison, de Schaeffer il y a quelques années. C'est agréable d'en avoir un petit résumé pour rafraichir la mémoire.