vendredi 16 novembre 2007

Enseignement uniquement moral de la Bible

Mon dernier billet concernait ceux qui donnent un enseignement exclusivement scientifique de la Bible. Voici maintenant un autre texte touchant ceux qui donnent un enseignement uniquement moral de la Bible.

Un enseignement uniquement moral de la Bible

Bien sûr, la Bible enseigne nombre de principes moraux; il n’est pas dans notre intention de nier ce fait. En réalité, celui qui lit les Écritures découvrira même une « éthique[1]» dans la Bible. Dans le Sermon sur la montagne, par exemple, Jésus expose à ses disciples l’éthique qui devra dorénavant régir toute leur conduite. Cette éthique enseignée par Jésus, si on prend le nom que lui donnent habituellement les spécialistes bibliques, est « l’éthique du Royaume »[2]. Il est question dans cette éthique des lois spirituelles et morales devant gouverner tous ceux qui vivent désormais sous le règne de Dieu. Cependant, il faut s’empresser d’ajouter que, dans le Nouveau Testament, l’éthique n’est jamais considérée comme une fin en soi. En fait, l’éthique y est secondaire : sa pleine portée et toute son actualité deviennent effectives seulement après la réception de l’Évangile par l’individu. En effet, c’est aux fidèles que l’Écriture ordonne d’obéir à l’éthique du Royaume, non aux incroyants. C’est donc la foi en la grâce de Dieu qui est avant tout indispensable. Par contre, sans la foi, l’obéissance à l’éthique chrétienne ne représente qu’une tentative purement humaine, donc complètement détachée de la connaissance et de la puissance de l’Évangile, de reproduire une conduite morale vertueuse. En d’autres termes, enseigner la morale biblique sans placer celle-ci sous la bannière de la grâce de Dieu ne peut que conduire à la pratique d’un moralisme légaliste.

Du côté de la théologie libérale, le libéralisme moraliste représente un très bon exemple de cette vision purement éthique de l’enseignement biblique. Comme l’expose judicieusement Henri Blocher, la théologie libérale « ramène à l’éthique l’essentiel du christianisme[3]». Aussi, selon cette même théologie, « le Jésus historique, un simple homme à coup sûr, vaut comme Modèle morale[4]». Mais c’est là que s’arrêtent le rôle et la mission de Jésus; jamais la théologie libérale n’a accepté de représenter Jésus comme sacrifice d’expiation pour nos péchés. La prédication chrétienne n’est donc plus, dans ce contexte, la prédication de Jésus notre Sauveur, mort et crucifié pour nos péchés[5]. Tout ce que Jésus a accompli pour nous se résume en fait à ceci : il nous a montré, par son exemple parfait, comment vivre de façon vertueuse devant Dieu et devant les hommes. Naturellement, en tant que chrétiens évangéliques, nous ne pouvons adhérer à la conception des théologiens libéraux concernant l’éthique biblique. Bien entendu, nous croyons que Jésus est le Modèle par excellence. Cependant, selon l’Écriture, Jésus est bien plus qu’un simple modèle : il est aussi, et surtout, le Fils de Dieu fait homme afin de sauver, par son sacrifice à la croix, ceux et celles qui placent leur foi en lui.

Le Nouveau Testament lui-même fait mention de quelques exemples de ce type d’enseignement uniquement moral de l’Écriture. À ce titre, on peut citer les pharisiens. Selon Le Nouveau dictionnaire biblique, leur système de doctrines « ramenait la religion à l’observation de la loi et enseignait que Dieu n’accorde sa grâce qu’à ceux qui se conforment à ses ordonnances. La piété devint ainsi formaliste, la disposition du coeur ayant moins d’importance que l’acte extérieur[6]». C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi Jésus leur a reproché plus d’une fois leur justice hypocrite :

Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites! Parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui paraissent beaux au dehors, et qui au dedans sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impureté. Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes mais au dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’iniquité. (Mt 23.27-28).

Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de remarquer la manière dont Jésus envisage les conséquences dévastatrices de l’enseignement uniquement moral que répandaient les pharisiens parmi les prosélytes, ces personnes d’origine païenne qui s’étaient converties au judaïsme :

« Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui parcourez mers et continents pour gagner un seul prosélyte, et, quand il l’est devenu, vous le rendez digne de la géhenne, deux fois plus que vous! » (Mt 23.15)

Amar Djaballah résume avec beaucoup de justesse ce que dit le Nouveau Testament au sujet des pharisiens et de leur légalisme :

« Le pharisien, comme tout religieux, ne comprend pas « que “nous étions tous errants comme des brebis, ... et que l’Éternel a fait retombé sur lui la faute de nous tous (Es 53.6)"[7]».

On peut également mentionner les judaïsants, contre lesquels l’apôtre Paul a dû sans cesse mettre en garde les Églises locales, notamment les Églises de la Galatie (Ga 2.4-5), de Philippes (Ph 3.2-3), de Colosses (Col 2.8, 16-23) et de Corinthe (1 Co 1.12; 3.21-23; 2 Co 11.4-5). Le problème des judaïsants dans les Églises de la Galatie revêtait la forme suivante :

Les judaïsants voulaient forcer les anciens païens de la Galatie à adopter les rites et le mode de vie juifs, en particulier la circoncision. Pour eux, il y avait deux catégories de chrétiens [la supérieure et l’inférieure] : ceux qui étaient circoncis (Ga 6.12) et qui observaient les fêtes et les pratiques juives (Ga 4.10) faisaient partie de la catégorie supérieure[8].

Selon l’apôtre Paul, ce légalisme pratiqué et enseigné par les judaïsants constitue « un autre évangile » (Ga 1.6-7). Or le véritable Évangile, celui que Paul enseignait aux païens, annonce que les hommes sont « justifiés par la foi en Christ, et non par les œuvres de la loi, parce que nul ne sera justifié par les œuvres de la loi » (Ga 2.16). Ainsi, les judaïsants, tout comme les pharisiens, refusaient de recevoir la grâce de Dieu, qui seule pouvait pourtant les délivrer de la malédiction de la loi et les introduire dans une véritable communion avec Dieu. Ils préféraient leur « évangile légaliste » à l’Évangile de Jésus-Christ[9]. Pour cette raison, l’apôtre Paul exhortera fermement les Galates, disant : « Si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème! » (Ga 1.9)

Comme le révèlent les exemples ci-dessus, un enseignement uniquement moral de la Bible insistera énergiquement sur l’accomplissement de la loi ou des normes morales de la Bible. Dans nos Églises, ce type d’enseignement porte souvent le nom de légalisme ou de moralisme. D’ordinaire, les prédications et les enseignements de ce type mettent fortement l’accent sur la condamnation et le jugement de Dieu ainsi que sur la nécessité d’observer rigoureusement les commandements divins afin de bénéficier de la faveur divine. Il ne s’agit donc plus du message de la grâce imméritée de Dieu, mais uniquement d’un message de condamnation et de jugement. Selon ce message, seule une obéissance stricte à la loi et aux normes de Dieu peut assurer le salut des hommes. Or un tel enseignement n’est ni plus ni moins que du légalisme. Le danger de se placer sous « l’anathème » de Paul pour avoir prêché « un autre évangile » est donc toujours bien réel. C’est pourquoi les enseignants ont intérêt à s’examiner sans cesse afin de s’assurer de prêcher en tout temps « la parole de vérité » (Co 1.5).

Bien sûr, la pratique de la morale chrétienne est essentielle, puisque Jésus et les apôtres ont écrit plusieurs choses importantes à ce sujet. La morale chrétienne, cependant, doit toujours être enseignée dans le rapport étroit qui la lie au salut accompli en Jésus-Christ. C’est en effet ce salut qui constitue le besoin fondamental de l’homme, et non premièrement la nécessité d’acquérir une conduite vertueuse en accomplissant de bonnes actions morales. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’éthique est secondaire et son actualité devient effective seulement après la réception de l’Évangile par l’individu. Mais dès que cet Évangile est reçu par la foi, la vie du croyant commence à se caractériser par une conduite morale toujours plus vertueuse, conduite morale qui trouve son inspiration et sa raison d’être dans la seule et unique grâce de Dieu révélée en Jésus-Christ. Si le croyant pratique la justice de Dieu, ce n’est pas par contrainte ni par désir d’être trouver en Lui avec une justice qui serait la sienne et « qui viendrait de la loi » (Ph 3.9), mais il la pratique uniquement par reconnaissance envers celui qui « a donné sa vie en rançon pour beaucoup » (1 Tm 2.6). Comme l’expose admirablement l’apôtre Paul, c’est « la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes (...), qui nous enseigne à renoncer à l’impiété, aux désirs de ce monde, et à vivre dans le siècle présent d’une manière sensée, juste et pieuse » (Tt 2.11-12)

Il ne faudrait cependant pas tomber dans le même piège que les Galates, qui, « après avoir commencé par l’Esprit », voulaient « maintenant finir par la chair » (Ga 3.3). Oui, nous avons reçu le salut de Dieu, et de ce fait la vie éternelle. Mais il peut arriver que, nous aussi, nous « commencions par l’Esprit » pour ensuite chercher à « terminer par la chair », c’est-à-dire vivre notre vie en tentant d’accomplir la volonté de Dieu sans nous placer sous l’impulsion de la grâce. En effet, toutes les fois où nous essayons d’obéir aux commandements de Dieu sans nous souvenir que, si « nous aimons », c’est « parce que lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4.19), nous sommes coupables de pratiquer un légalisme religieux. C’est par l’amour et la grâce de Dieu révélés en Jésus-Christ que nous avons été sauvés; et c’est également par le même amour et la même grâce qu’il nous est possible de marcher dans la volonté de Dieu et d’obéir à ses commandements.

Quiconque néglige d’enseigner aux fidèles qu’il est impossible à un homme de manifester une obéissance authentique envers Dieu tant et aussi longtemps que ce même homme ne se place pas sous « l’impulsion de la grâce », tombe forcément dans un enseignement uniquement moral de la Bible. Le danger pour les enseignants de glisser vers ce type d’enseignement est bien réel, surtout quand les brebis du Seigneur paraissent nonchalantes et peu enclines à marcher selon la volonté de Dieu et qu’il semble falloir les secouer sévèrement pour les pousser à l’action. C’est pourquoi les enseignants doivent constamment se souvenir que leur rôle est d’abord et avant tout de prêcher « Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Co 2.2). C’est en effet cet Évangile de la croix qui « est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit » (Rm 1.16). Ceux qui enseignent doivent donc le faire « par la parole de vérité, par la puissance de Dieu, par les armes offensives et défensives de la justice » (2 Co 6.7). Comme le mentionne également l’apôtre Paul, « les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais elles sont puissantes devant Dieu, pour renverser des forteresses. Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toute pensée captive à l’obéissance au Christ » (2 Co 10.4-5).

Notes

  1. Le Petit Robert décrit l’éthique comme « la science de la morale; art de diriger la conduite ». Voir Le Petit Robert, sous la rubrique « Éthique ».
  2. Ladd, dans son ouvrage classique The Presence of the Future, offre une étude excellente concernant le Royaume de Dieu et l’éthique qui s’y rattache. Il dit ceci à propos de l’éthique enseignée par Jésus : « L’éthique de Jésus, donc, est l’éthique du Royaume, l’éthique du règne de Dieu. Il est impossible de séparée celle-ci du contexte total du message et de la mission de Jésus. Elle est pertinente seulement pour ceux qui ont expérimenté le règne de Dieu. »; Georges Eldon LADD, The Presence of the Future, Grand Rapids, Eerdmans, 1996, p. 290.
  3. Henri BLOCHER, Fac étude : christologie, premier fascicule, Vaux-sur-Seine, 1986, p.127.
  4. Ibid.
  5. « Ce que les libéraux nous offrent, donc, est un Christ qui a révélé ce que l’homme devrait être, mais pas un Sauveur qui délivre l’homme du péché afin que ce dernier puisse devenir ce qu’il n’est pas »; Richard J. COLEMAN, Issues of Theological Conflict : Evangelicals and Liberals, Grand Rapids, Eerdmans, 1980, p. 82.
  6. Le Nouveau dictionnaire biblique, Saint-Légier, Editions Emmaüs, 1992, voir sous la rubrique « Pharisiens ».
  7. Amar DJABALLAH, Les paraboles aujourd’hui, Québec, La Clairière, 1994, p. 107.
  8. Ibid.
  9. « Derrière ces judaïsants, nous discernons l’éternel problème du légalisme, de ceux qui pensent que le salut par grâce n’est pas suffisant et qu’il faudrait ajouter quelque chose à la foi pour gagner la faveur de Dieu et obtenir toute sa bénédiction. Dans ce sens, les judaïsants ont eu de nombreux descendants tout au long de l’histoire de l’Église. »; Le Nouveau dictionnaire biblique, Saint-Légier, Editions Emmaüs, 1992, voir sous la rubrique « Judaïsants ».

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