jeudi 15 novembre 2007

Enseignement de la Bible et lecture scientifique

Voici un texte que j'ai écrit concernant le rôle des enseignants de la Bible et la tendance actuelle que certains ont d'imposer une lecture scientifique des Écritures.

Un enseignement uniquement scientifique de la Bible

Une tendance actuelle dans l’enseignement de la Bible consiste à donner des enseignements scientifiques de la Bible. Cette façon de faire n’est pas nécessairement mauvaise en soi, cependant elle peut devenir potentiellement dangereuse si elle perd de vue le message central du texte enseigné. Comme le mentionne à juste titre le professeur Henri Blocher, au premier stade de l’étude de la Bible,

il convient de pratiquer « l'oubli » méthodique des théories présentes, pour entendre sans interférence le sens de l’Instruction révélée[1].

Il est en effet important de ne pas oublier que la Bible n’est pas un manuel de science. Bien entendu, la Bible contient certains énoncés de nature « scientifique ». Pour plusieurs personnes, le récit de la création est un des exemples bibliques les plus communs « d’énoncés scientifiques ». Cependant, il faut en tout temps garder en mémoire que l’Écriture n’a pas été écrite pour notre instruction scientifique et que les énoncés scientifiques qu’elle pourrait contenir sont occasionnels et fragmentaires. L’Écriture a été donnée pour révéler le salut de Dieu et sa volonté pour les hommes[2].

L’exemple du récit de la création mérite que nous lui accordions une plus grande attention. De nos jours, parmi les chrétiens évangéliques, le thème de la création jouit d’une très grande popularité. Bien sûr, une grande partie de cette popularité découle des débats engendrés par les thèses évolutionnistes de
Darwin. Ce que nous pouvons retenir de ces débats, c’est la prise de position radicale des chrétiens évangéliques contre les théories évolutionnistes. Un tel positionnement de la part des évangéliques s’avérait d’ailleurs nécessaire, car la théorie de l’évolution menaçait sérieusement de miner la foi des fidèles en la doctrine biblique de la création. Au fil du 20e siècle on a donc vu apparaître deux groupes distincts et diamétralement opposés : les évolutionnistes, d’une part, et les créationnistes, d’autre part. Ces deux groupes ont produit chacun de leur côté une littérature fort impressionnante. Beaucoup de livres créationnistes sont d’ailleurs lus par des pasteurs et des membres d’Églises locales. En soi, ce type de lecture est très approprié, voire utile et indispensable, surtout lorsque ces livres nous aident à défendre la doctrine biblique de la création. Pourtant, une question tout à fait légitime s’impose face à ce débat et la tournure gigantesque qu’il prend actuellement : est-il possible que ce débat créationniste puisse nous éloigner du véritable message du récit génésiaque de la création? Autrement dit, est-il possible qu’en voulant à tout prix « prouver » scientifiquement la véracité de la doctrine de la création, et plus particulièrement de la création en sept jours de vingt-quatre heures, on passe à côté de l’intention initiale de Moïse lorsqu’il a écrit les premiers chapitres de la Genèse?


Naturellement, ces questions n’ont pas pour but de dénigrer le bien-fondé de la démarche créationniste, qui se veut une défense honnête de la doctrine biblique de la création. Il est en effet tout à fait légitime de riposter aux attaques de l’ennemi en prenant les « armes offensives et défensives de la justice » (2 Co 6.7). Se défendre contre l’ennemi et lui riposter en temps opportun ne représente donc pas un problème en soi. Cependant, ce qui devient trop souvent problématique dans l’effort de plusieurs créationnistes pour garder « intact » les énoncés dits scientifiques du récit de la création, c’est quand la perspective scientifique devient omniprésente dans l’interprétation qu’ils font du texte de la Genèse. Le récit génésiaque est bel et bien lu, analysé et étudié en profondeur, mais tout cet effort a pour seul et unique but de répliquer aux objections des évolutionnistes. Le discours des créationnistes et leur interprétation des Écritures deviennent alors uniquement scientifiques, et tout ce que Moïse a voulu initialement communiquer par ce récit de la création passe soudainement au second plan ou est tout simplement ignoré et mis de côté. De telles conséquences nous obligent donc à réfléchir sérieusement à la façon dont nous abordons les Écritures.


Le rôle de l’enseignant et les énoncés scientifiques de la Bible

Le rôle de l’enseignant est d’enseigner droitement l’Écriture Sainte. Mais, pour bien accomplir cette tâche, l’enseignant doit respecter scrupuleusement les limites que le texte lui impose. Et, tel que nous l’avons déjà dit, la Bible n’est pas d’abord un livre scientifique, pas même le récit de la création dans la Genèse. Voilà un exemple très clair d’une limite que le texte biblique impose.

À ce sujet, il est important de bien comprendre que cette « limite scientifique » existe parce que les écrivains bibliques ont eux-mêmes « limité » leurs écrits de la sorte. Ceux-ci n’ont pas écrit des manuels scientifiques et n’avaient nullement l’intention de faire l’instruction scientifique de leurs contemporains. Concernant le livre de la Genèse, et plus particulièrement ses deux premiers chapitres, on pourrait facilement se laisser persuader que Moïse avait un certain « minimum » d’intention scientifique en touchant le thème de la création. Moïse ne présente-t-il pas en effet le Comment? de la naissance de notre monde, de quelle manière celui-ci est venu à l’existence par la parole créatrice de Dieu? Pourtant, s’imaginer qu’un récit a été écrit dans une intention scientifique uniquement parce qu’il suscite en nous des questions de nature scientifique est une bien mauvaise équation. Que le texte de la Genèse soit aujourd’hui d’un certain intérêt scientifique pour nous ne signifie nullement que Moïse a écrit ce récit dans le but de produire chez le lecteur un tel intérêt. À vrai dire, cet intérêt scientifique pour le livre de la Genèse, pour une grande partie en tout cas, est davantage le fruit de nombreuses décennies de disputes entre créationnistes et évolutionnistes[3]. La question urgente qui se pose donc à nous est la suivante : dans quel but Moïse a-t-il écrit le récit de la création et l’ensemble du livre de la Genèse? Quiconque étudie le livre de la Genèse doit prendre garde de ne pas séparer le récit de la création du reste de l’ouvrage. Une bonne compréhension du livre dans sa totalité est en effet indispensable pour saisir l’intention avec laquelle Moïse a écrit la Genèse. Le lecteur attentif remarquera que la quasi-totalité de la Genèse se concentre sur l’histoire des patriarches et sur la constitution de la nation d’Israël par le biais de la promesse faite à Abraham et à sa descendance (Gn 12.7). Le thème dominant de la Genèse est donc celui de l’histoire de la constitution de la nation d’Israël comme peuple de Dieu à travers l’accomplissement de la promesse faite à Abraham et à sa descendance. C’est dans cette perspective qu’il faut aussi considérer le récit de la création. Comme le résume avec justesse Gordon J. Wenham,

le Dieu qui a appelé Abraham n’était pas une divinité locale mais le créateur de tout l’univers. La succession de catastrophes qui arrivent à l’humanité avant l’appel d’Abraham montre pourquoi l’élection d’Abraham, et en lui, d’Israël, était nécessaire[4].

En d’autres termes, la Genèse a pour but de nous confronter au Dieu créateur contre lequel l’homme a péché, ce Dieu créateur qui, loin de s’avouer vaincu par la désobéissance de l’homme, s’engage au contraire à devenir le Dieu sauveur de ses propres créatures en se choisissant un peuple (Israël) par lequel il révélera sa volonté et accomplira la rédemption[5]. Nous ferons donc bien de prêter une oreille attentive à l’exhortation suivante :

La Genèse concerne principalement le caractère de Dieu et ses desseins pour l’humanité pécheresse. Prenons garde de ne pas laisser nos intérêts nous détourner de l’idée centrale du livre, afin de ne pas passer à côté de ce que le Seigneur, notre créateur et rédempteur, est en train de nous dire[6].

Le rôle de l’enseignant consiste donc à transmettre le même message théologique qu’a jadis voulu transmettre Moïse. Dans le concret, cela signifie que le texte de la création doit être enseigné dans la perspective de l’histoire du salut que le livre de la Genèse présente dans son ensemble. Celui qui enseigne les premiers chapitres de la Genèse doit donc le faire en prenant bien soin de faire ressortir les liens que Moïse établit entre le récit de la création et l’histoire des patriarches. Pour ce faire, l’enseignant doit connaître en profondeur le contexte culturel (le Proche-Orient) au sein duquel se déroulent les événements qui sont relatés dans la Genèse. S’il omet de faire avec soin ce travail, il court le danger d’isoler le récit de la création du reste du livre et, par conséquent, de mettre au premier plan de son enseignement des préoccupations scientifiques étrangères à l’intention initiale de l’auteur de la Genèse. Or une telle démarche serait contraire à la responsabilité qui lui incombe de prêcher le conseil de Dieu dans toute sa pureté.

Notes

  1. Henri BLOCHER, Révélation des origines, 2e édition revue et augmentée, Lausanne, Presses bibliques universitaires, 1988, p. 211.
  2. Dire que la Bible n’est pas un livre scientifique ne signifie évidemment pas que les données scientifiques qu’elle contient sont fausses. Cependant, pour éviter tout malentendu sur ce point, nous avons jugé bon de citer ici la 1ière Déclaration de Chicago sur la doctrine de l’inerrance de la Bible, et plus particulièrement l’article touchant le rapport entre Bible et science : « Nous affirmons que l’Écriture dans son intégralité est inerrante, exempte de toute fausseté, fraude ou tromperie. Nous rejetons l’opinion qui limite l’infaillibilité et l’inerrance de la Bible aux thèmes spirituels, religieux, ou concernant la rédemption, et qui exclut les énoncés relevant de l’histoire et des sciences. Nous déclarons, en outre, illégitime l’emploi d’hypothèses scientifiques sur l’histoire de la terre pour renverser l’enseignement de l’Écriture sur la création et le déluge. » (Art. XII); 1ière Déclaration de Chicago, dans Paul WELLS, Dieu a parlé, Québec, La Clairière, 1997, p. 232. On peut à ce titre citer cette brillante réflexion du pasteur Vincent Bru, qui joint ici la notion d’inerrance-infaillibilité à celle du but de l’Écriture : « Il va de soit que le concept même d’infaillibilité ou d’inerrance, pour être bien compris, implique une juste vision des critères propres de l’Ecriture quant à la notion même de vérité qui, au regard du plan du salut de Dieu, n’implique pas forcément l’exactitude mathématique, scientifique - au sens moderne du terme - de tous les détails qui apparaissent dans le texte. Et ce, d’autant plus que le but de l’Ecriture - lequel but est bel et bien atteint infailliblement jusque dans les plus petits détails du texte biblique -, n’est pas de nous fournir un traité de zoologie, de cosmologie, de géologie, ni même une documentation historique du peuple de Dieu selon les exigences de l’historiographie moderne, mais bien de nous amener à la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu. » ; Vincent BRU, Le statut des Ecritures : examen de la valeur du principe externe et formel de la foi réformée confessante.
  3. Dans son commentaire sur la Genèse, Gordon J. Wenham fait une observation qui rejoint la nôtre : « L’homme moderne fait des suppositions à propos du monde qui sont complètement différentes de celles du second millénium av. J.-C.. Par conséquent, quand nous lisons la Genèse, nous avons tendance à nous emparer de points qui étaient vraiment d’intérêt périphérique pour l’auteur de la Genèse et nous négligeons des points qui sont fondamentaux. […] Mais nous, lecteurs modernes avec une vision du monde façonnée par la science, trouvons difficile d’établir un rapport entre la Genèse et le reste de notre pensée. Ma conviction est que la plupart de nos problèmes sont causés par une mauvaise compréhension des intentions de la Genèse. »; Gordon J. Wenham, Word Biblical Commentary : Genesis 1-15, Waco, Word Books, 1987, p. xlv-xlvi.
  4. Ibid., p. xxii.
  5. « Car le salut vient des Juifs. » (Jn 4.22)
  6. Gordon J. WEHNAM, op.cit., p. liii.

3 commentaires:

Anonyme 15 novembre 2007 à 05:55  

J'aime bien ce que tu as écris ici Daniel. Je vais dans le même sens que toi.

Anonyme 15 novembre 2007 à 05:56  

Décidément, Georges, tu es l'homme qui commente les blogues aussi vite que son ombre! Je viens tout juste de publier ce post.

Anonyme 15 novembre 2007 à 06:26  

Disons que j'étais un bon endroit au bon moment!