mercredi 15 novembre 2006

Supportez-vous les uns les autres

Je vous exhorte donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience. Supportez-vous les uns les autres avec amour, en vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix (Ep 4.1-3).


Aimer son prochain suppose de le «supporter avec amour; comme le Sauveur “a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies” (Mt 8.17), ses disciples portent les fardeaux de leurs frères; non seulement les épreuves, les peines de leur vie au sens le plus général, mais leur faiblesse morale, leurs déficiences psychologiques (1 Th 5.14), leur inertie religieuse ou leurs scrupules, tout ce qui rend un “prochain” pesant ou exacerbant. Au lieu de le fuir ou de le mépriser, on le prend en charge, en se montrant fraternellement accueillant à son égard».

C. Spicq

A) Signification du verbe «supporter»

Plusieurs verbes grecs peuvent se traduire en français par le mot «supporter». Le verbe qui nous intéresse, cependant, est celui qui se trouve en Éphésiens 4.2, verset dans lequel il est question du thème les uns les autres. Il s’agit du verbe anéchomai. Aussi lisons-nous:

Je vous exhorte donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience. Supportez-vous les uns les autres avec amour, en vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix (Ep 4.1-3).

Ce verbe faisait originellement partie du langage militaire. Il signifiait alors: supporter la pression de l’ennemi, en particulier lorsque les attaques se font nombreuses et qu’il faut résister pour ne pas être vaincu ni abattu.

Dans le grec non biblique, ce même verbe a le sens de «retenir», «persévérer», «supporter».

Dans la Septante, c’est-à-dire la version grecque de l’Ancien Testament, il est utilisé «quand on se retient de faire une action qui essaie de nous pousser en avant». Dans notre contexte contemporain, l’exemple qui illustre bien la signification de ce verbe est celui d’un parent dont l’enfant a fait une bêtise: au lieu d’asséner une taloche impulsive à la figure de son gamin, ce parent se retient de le frapper, il supporte la situation et ne se laisse pas gouverner par ses émotions.

Anéchomai signifie donc:

a) Refuser d’abandonner la partie quand la pression exercée sur nous devient de plus en plus vive, comme l’exprime très bien l’exemple des soldats sous le feu de l’ennemi. On parle alors d’endurance.

b) Mais c’est également l’idée de maîtrise de soi: supporter, c’est être maître de ses émotions et actions; c’est se retenir de porter un geste que nous serions impulsivement tentés de commettre.

B) Emplois du verbe anéchomai dans le Nouveau Testament

Dans quels contextes le verbe anéchomai est-il employé dans le Nouveau Testament?

1) Dans les évangiles

Jésus s’est servi de ce verbe pour marquer son exclamation face à ses disciples incrédules qui n’étaient pas parvenus à venir au secours d’un enfant possédé d’un démon:

Jésus répondit: Race incrédule et perverse, jusques à quand serai-je avec vous? Jusques à quand vous supporterai-je? Amenez-le-moi ici (Mt 17.17; voir également Mc 9.19; Lc 9.41).

2) Dans les lettres de Paul

L’apôtre Paul emploie ce verbe pour parler de l’attitude adoptée par les croyants qui sont persécutés. Nous avons l’exemple de Paul et ses compagnons d’œuvre ainsi que celui des membres de l’Église de Thessalonique:

Jusqu’à cette heure, nous sommes exposés à la faim, à la soif, au dénuement, aux coups, à une vie errante; nous nous fatiguons à travailler de nos propres mains; insultés, nous bénissons; persécutés, nous supportons (1 Co 4.11-12).

Aussi nous glorifions-nous de vous dans les Églises de Dieu à cause de votre persévérance et de votre foi, dans toutes vos persécutions et les afflictions que vous supportez (2 Th 1.4).

Paul utilise ce même verbe pour parler des hommes qui, à un certain temps de l’avenir, ne supporteront plus la saine doctrine:

Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine; mais au gré de leurs propres désirs, avec la démangeaison d’écouter, ils se donneront maîtres sur maîtres (2 Ti 4.3).

Enfin, dans la lettre qu’il écrit aux Colossiens, il emploie anéchomai dans un contexte similaire à celui de l’épître aux Éphésiens:

Supportez-vous les uns les autres et faites-vous grâce réciproquement; si quelqu’un a à se plaindre d’un autre, comme le Christ vous a fait grâce, vous aussi, faites de même. Mais par-dessus tout, revêtez-vous de l’amour qui est le lien de la perfection (Col 3.13-14).

Dans tous ces textes bibliques, cependant, le verbe anéchomai exprime l’idée de quelque chose qui est désagréable ou pénible à endurer. Ce qui signifie que les choses qu’il nous faut supporter ne sont jamais des choses auxquelles nous sommes naturellement enclins.

C) Questions de transition

Pourquoi l’apôtre Paul exhorte-t-il les membres de l’Église d’Éphèse à se supporter les uns les autres? Les Éphésiens étaient-ils à un tel point pénibles et désagréables les uns pour les autres?

Bien entendu, les membres de l’Église d’Éphèse devaient avoir leur lot de griefs les uns à l’égard des autres: un tel ne fait jamais correctement ce qu’on lui demande, tel autre est toujours en retard, celui-là est têtu et ainsi de suite. Et on doit humblement reconnaître que toutes les églises, de l’époque de l’Église primitive jusqu’à notre ère moderne, ont dû et doivent encore faire face à ce même type de problèmes interpersonnels. Mais est-ce là la seule raison qui a poussé Paul à demander aux Éphésiens de se «supporter les uns les autres»? Pour répondre à cette dernière question, il est essentiel de bien connaître le contexte immédiat ou est situé notre passage biblique (Ep 4.1-3).

D) Contexte immédiat d’Éphésiens 4.1-3

1) Avant Éphésiens 4.1-3

Dans le chapitre qui précède notre passage, Paul expose aux Éphésiens l’intelligence qu’il a du «mystère du Christ»:

C’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère, comme je viens de l’écrire en quelques mots. En les lisant, vous pouvez comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes: les païens ont un même héritage, forment un même corps et participent à la même promesse en Christ-Jésus par l’Évangile (Ep 3.1-6).

Il rappelle également aux païens la situation dans laquelle ceux-ci se trouvaient auparavant, c’est-à-dire avant de connaître le Christ, et ce qu’ils sont désormais en Christ:

Souvenez-vous donc de ceci: autrefois, vous, païens dans la chair, traités d’incirconcis par ceux qui se disent circoncis et qui le sont dans la chair et par la main des hommes, vous étiez en ce temps-là sans Christ, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. Mais maintenant, en Christ-Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang de Christ. Car c’est lui notre paix, lui qui des deux n’en a fait qu’un, en détruisant le mur de séparation, l’inimitié. Il a dans sa chair annulé la loi avec ses commandements et leurs dispositions, pour créer en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau en faisant la paix, et pour les réconcilier avec Dieu tous deux en un seul corps par sa croix, en faisant mourir par elle l’inimitié. Il est venu annoncer comme une bonne nouvelle, la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches; car par lui, nous avons les uns et les autres accès auprès du Père dans un même Esprit (Ep 2.11-17).

2) Après Éphésiens 4.1-3

Aussitôt après avoir donné aux Éphésiens l’obligation de se supporter les uns les autres, Paul engage une discussion à propos de l’unité de l’Esprit qui doit être conservée par le lien de la paix. Autrement dit, le mur de séparation qui a été détruit, il faut prendre garde de ne pas le rebâtir. Nous lisons donc:

En vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance, celle de votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous (Ep 4.3-6).

Non seulement les membres de l’Église d’Éphèse doivent-ils conserver l’unité de l’Esprit, mais ils ont également le devoir de mettre leurs dons spirituels au service des autres dans le but d’affermir cette unité:

C’est lui qui a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints. Cela en vue de l’oeuvre du service et de l’édification du corps du Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ (Ep 4.11-13).


Du contexte immédiat d’Éphésiens 4.1-3, nous retirons donc ceci:

a) Les Éphésiens doivent apprendre à vivre ensemble, c’est-à-dire apprendre à se supporter les uns les autres, parce que c’est là le plan de Dieu de réconcilier des femmes et des hommes tirés de toutes les nations.

b) Mais il faut également se mettre au service des autres, pour atteindre tous ensemble la stature d’homme fait. C’est d’ailleurs ce que signifie «se supporter les uns les autres avec amour». Car il appartient à la nature même de l’amour de toujours chercher l’intérêt de l’autre (voir aussi Ep 4.15).

E) Application pour nous aujourd’hui

Comment appliquer ces vérités pour nous aujourd’hui? Que signifie en effet, dans le contexte de nos églises locales respectives, cette exhortation de Paul à «se supporter les uns les autres avec amour»? Nous proposons deux applications:

a) L’application la plus évidente est bien entendu celle concernant les différences culturelles: dans l’Église de Jésus-Christ, nul n’a le droit d’être jugé ou disqualifié à cause de ses origines ethniques! Supportons les différences, même si parfois cela ne nous plaît pas.

b) Ensuite, dans un contexte plus élargi, se trouvent les fardeaux de nos frères et sœurs en la foi, leurs épreuves, leurs peines de toutes sortes, mais également leurs faiblesses morales, leurs déficiences psychologiques, leurs personnalités différentes. Face à toutes ces choses, un seul comportement est souhaitable: supporter l’autre et l’aider à grandir là où il éprouve des difficultés.

En conclusion, nous devons nous souvenir que nos vies font partie d’un plan divin qui nous surpasse. Nous appartenons à Christ et nos intérêts devraient par conséquent être les mêmes que ceux du Christ. Nous ne vivons pas pour nous accomplir ni pour nous «tailler une place sous le soleil», mais pour accomplir la volonté de notre Père céleste. Un des enjeux fondamentaux de nos vies dans ce plan divin, c’est de travailler à l’édification du corps du Christ. Or si, pour réaliser cette tâche, il nous faut œuvrer avec des sœurs et des frères différents de nous ou dont le caractère est difficile, nous sommes tenus de les supporter et de les aider à grandir. Telle est en effet la volonté de Dieu pour son Église.

Amen

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