lundi 27 novembre 2006

Dieu-Père, Fils, Esprit : un insondable amour sans rivage ni limite

Dans ce bref compte rendu, nous nous proposons de faire une analyse critique du livre que le père Paul Aubin (né en 1922, aujourd’hui professeur de la faculté de théologie des Jésuites de Paris) a écrit sur le sujet de la doctrine de la Trinité, ouvrage qui s’intitule : Dieu-Père, Fils, Esprit : un insondable amour, sans rivage ni limite (nouvelle édition, Québec, Éditions Fides, 1999, 160 p.). Nous considérerons le but qu’avait l’auteur en rédigeant ce livre, l’utilité de ce dernier, tout en mentionnant ses points forts et ses points faibles. Nous terminerons ce compte rendu en faisant part de l’appréciation que nous en avons eu.

But de l’auteur
L’ouvrage du père Aubin n’a rien à voir avec les écrits polémiques qui furent produits par de grands théologiens, lesquels prenaient conscience, chacun en son temps, du besoin urgent d’écrire pour défendre ce que le christianisme appelle la doctrine de la Trinité (ou Tri-unité). Certes, l’écrit de ce professeur Jésuite comporte son élan polémique, puisqu’il s’agit d’une affirmation théologique d’une doctrine fondamentale mais aussi très controversée. Cependant, son intention en écrivant ce livre était quelque peu différente de la plupart des œuvres théologiques, qui favorisent habituellement la polémique. On peut dire qu’il s’agit d’un éloge à l’amour, non d’un quelconque amour, mais de cet « insondable amour, sans rivage ni limite[1] », que seul possède le « Dieu-Père, Fils et Esprit » qui s’est laissé dévoiler aux yeux de tous ceux qui lui appartiennent. N’est-ce pas là d’ailleurs une sûre preuve de cette intention, lorsque l’on considère le fait que l’auteur emprunte cette pensée à Blaise Pascal (pensée n°556) et qu’il la cite dès les premières pages de son livre, dans le liminaire pour être exact : « Mais le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation, c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède » (p. 7).

La Révélation du Dieu trine et l’Amour sont donc les deux « objets » dont il est question dans cette étude. Mais il ne s’agit cependant pas d’objets qui doivent être étudiés d’une manière parallèle ou successive. Au contraire ! Selon le père Aubin, la doctrine de la Trinité ne se reçoit que dans la mesure où une relation d’amour se noue entre Dieu et sa créature. Aimer, pour Dieu, signifie qu'il se révèle tel qu’il est dans la nature même de son Être. Comme le dit l’auteur : « …la Révélation n’est pas d’abord la communication par voie surnaturelle d’un ensemble de vérités en vue d’enrichir notre savoir : elle est d’abord une affaire d’amour » (p. 127). Et cette relation d’amour, au sein de laquelle la Révélation du Dieu trine nous est donnée, puise sa source dans la personne et l’oeuvre du Messie promis. En effet : « En Jésus-Christ — Dieu tout entier mis sous nos yeux et à notre portée — le Tout-Puissant se manifeste dans le visage d’un frère : pour atteindre l’homme, il entre dans la véritable histoire humaine, c’est-à-dire qu’il s’insère dans la trame vivante de la multitude des humbles gens » (p. 132).

Ce but est-il atteint ?
Comme nous venons de le voir, le but du père Aubin en écrivant son livre consiste à présenter la doctrine de la Trinité dans la perspective du salut manifesté en Jésus-Christ, salut au travers duquel Dieu révèle pleinement son amour et l’essence même de sa personne (Trinité immanente et Trinité économique). Ce but est-il atteint ? Il semble bien que l’auteur ait réussi à communiquer le but qu’il s’était fixé et qu’il l’ait effectivement atteint. C’est là notre impression.

De plus, le but de ce livre le distingue nettement de la plupart des ouvrages qui touchent la doctrine de la Trinité. En effet, le caractère unique de cet écrit est à un tel point frappant qu’il suscite facilement la curiosité du lecteur. Bref, après la lecture de l’ouvrage du professeur Aubin, impossible de contempler le mystère de la Trinité de la même façon !

Utilité du livre
À première vue, il peut paraître ridicule de se demander quelle est l’utilité d’un livre. Puisque les publics qui liront un même livre sont habituellement variés, on peut remettre en question « l’objectivité » d’une telle démarche : comment, en effet, peut-on juger de l’utilité d’un livre sans que ne soit préalablement défini le public pour lequel il fut écrit ? Un livre n’est utile que s’il répond aux attentes des lecteurs qu’il cherche à atteindre. C’est pourquoi nous devons d’abord déterminer le public auquel l’ouvrage de Paul Aubin s'adresse avant de pouvoir évaluer son utilité.

À quel public s'adresse-t-il ?
Le père Aubin reconnaît d’emblée à quel point les grandes explications des savants bibliques et des théologiens sur le mystère trinitaire peuvent, pour plusieurs, paraître austères, ardues et déconcertantes. Toutefois, face à cet « intellectualisme tyrannique », il refuse de se laisser aller à une quelconque forme d’anti-intellectualisme et décourage même ses lecteurs de réagir de la sorte. Bien au contraire ! Le professeur Jésuite se portera même à la défense des théologiens. Il dit : « Il faut quand même prendre la défense des théologiens ! Aucun d’entre eux, surtout parmi les plus grands, n’a prétendu mieux connaître Dieu que le commun des chrétiens. Mais chacun s’approche de Dieu avec son propre tempérament, le théologien comme l’artiste, l’homme d’action comme le spéculatif, le prosateur comme le poète » (p. 18-19). Ainsi, pour le père Aubin, le sujet qu’il s’apprête à traiter concerne aussi bien les théologiens que le commun des chrétiens. Il ne faut donc pas chercher à savoir si son livre vise les premiers plus que les deuxièmes.

Mais, en réalité, le mystère trinitaire est pour tous ceux qui ont le cœur pur et qui sont attentifs à l’appel de Dieu : « Il ne faut jamais perdre de vue, en effet, que le mystère trinitaire est révélé et qu’il n’est perceptible que dans l’accueil vécu de la Révélation, dans une authentique vie de foi. » Et de continuer : « Sans doute la Trinité est un mystère, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut être paresseux ! Car, enfin, ce mystère est révélé, et il ne l’est pas pour que l’on se contente de répéter des formules orthodoxes, mais bien pour nous inviter à y pénétrer, à nous en imprégner » (p. 23). Le livre du père Aubin est donc une invitation qu’il lance à ceux et celles qui désirent le suivre et cheminer avec lui dans la contemplation de l’étendue infinie du mystère de la Trinité !

Puisque le livre du père Aubin favorise surtout la contemplation mystique de Dieu, on peut aisément le ranger, du point de vue de son utilité, parmi les ouvrages spécialement conçus pour ceux qui recherchent ce type d’expérience spirituelle. Il peut aussi être fort utile aux théologiens et aux étudiants en théologie qui cherchent à nourrir leur réflexion sur le sujet de la Trinité. On doit, à cet effet, se souvenir que le père Aubin est professeur de théologie et que son livre s’adresse premièrement à ses élèves.

Les points forts
Les quelques points forts que nous avons relevés sont les suivants : la brièveté du livre, l’originalité du sujet, la force mystique de la réflexion de l’auteur et l’équilibre de sa pensée. D’abord, du fait que l’ouvrage soit succinct ne tend pas à dissuader le lecteur d’en faire la lecture. Cela semble être un « petit point fort », mais lorsqu’il est précisément question de la doctrine de la Trinité, bien des chrétiens préfèrent les ouvrages simples et rapides à lire aux gros manuels théologiques parfois pénibles et fastidieux. Il ne s’agit aucunement ici d’encourager la paresse intellectuelle. Par contre, il faut reconnaître que la complexité de cette doctrine et les difficultés qui y sont rattachées en rebutent plus d’un dès le départ.


En outre, l’originalité du sujet —le lien que l’auteur établit entre la Révélation du mystère trinitaire et l’Amour— procure une bouffée d’air rafraîchissant (et combien !) au lecteur désireux d’approfondir sa connaissance de Dieu. Ce caractère original et singulier rend d’ailleurs difficile la classification du livre : est-ce une œuvre dogmatique, philosophique, dévote ou mystique ? À vrai dire, il s’agit un peu de tout cela. C’est sans doute en raison de cet aspect holistique que sa lecture est si enrichissante.

Le caractère mystique de cet ouvrage peut aussi le faire grandement apprécier des lecteurs. Par mystique nous entendons la réflexion exaltée et intuitive de l’auteur, qu’il est possible de comparer aux écrits des Pères de l’Église. En fait, nous avons ici à notre portée une œuvre littéraire et théologique qui nous porte à la méditation et à la contemplation. Il n’est toutefois point question pour le père Aubin d’opposer raison et expérience mystique. Mais, pour éviter que l’on se méprenne à ce sujet, il posera, dès le début de son ouvrage, les bornes qui serviront ensuite à contenir notre méditation dans les limites de la Révélation.

L’équilibre d’une réflexion se voit surtout chez les écrivains et penseurs qui n’hésitent pas à approfondir leur savoir, sans chercher les positions extrêmes ni remettre en question tout ce qu’ils savent déjà être bon. Le livre du père Aubin est un exemple notoire d’une telle réussite. En effet, son écrit respire l’harmonie dans les concepts qui y sont exposés, sans aucune exagération ni digression. Bref, le lecteur y trouvera le fruit de longues années de réflexion, où chaque aspect de la doctrine fut calmement médité et considéré dans son ensemble.

Les points faibles
Nous pourrions avoir deux reproches à faire à propos de ce livre : le manque de rigueur académique et la pauvreté bibliographique.

La pensée contemplative et mystique de l’auteur nous laisse malheureusement fort déçus en ce qui a trait à la rigueur académique. Quoique la réflexion proposée par le père Aubin soit harmonieuse et bien équilibrée, il semble toutefois que celui-ci eut beaucoup gagné à être plus précis dans la présentation de ses idées en adoptant une méthodologie de travail plus rigoureuse. Il lui arrive souvent de sortir du cadre qu’il s’était fixé pour le développement d’un paragraphe pour aller glaner ça et là des informations qui ne semblent pas toujours suivre le fil de l’idée directrice. Cette façon de faire est agaçante. Mais l’on peut facilement y remédier en ne lisant pas ce livre comme un ouvrage de théologie systématique.

Quelques indications bibliographiques auraient été fort appréciées, surtout par ceux et celles qui désireraient approfondir le sujet. Cette regrettable omission donne la malheureuse impression d’un abandon et d’une déresponsabilisation doctrinale à l’égard de ses lecteurs.

Appréciation personnelle
D’une façon générale, j’ai beaucoup apprécié l’ouvrage du père Aubin. Il fut pour moi comme une révélation qui me permit de voir le mystère de la Trinité sous un jour nouveau. Jamais auparavant je n’avais réfléchi à ce mystère dans la perspective de l’Amour divin. Sa lecture fut pour moi très captivante et enrichissante.


[1]Les bouts de phrases en italique qui se trouvent entre les guillemets appartiennent à l’ouvrage du père Aubin. Cependant, les éléments de l’adresse bibliographique de ces citations ne sont pas indiqués.

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